Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VIII.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
165
L’HORREUR DU VIDE

» Si deux corps ont une même surface, ils tendent l’un vers l’autre, car il y a composition entre eux ; or il y a une surface commune à l’air et à l’eau…

» L’air descend donc naturellement vers l’eau ; mais l’eau ne monte pas naturellement vers l’air, car elle est plus lourde que lui ; c’est plutôt par violence que l’eau monte vers l’air, avec l’aide, toutefois, de cette surface commune dont nous avons parlé.

» C’est pour cette raison qu’au moyen d’engins faciles à construire (facilia ingénia), on peut tirer l’un de ces corps vers l’autre ; parce que l’air est détruit dans un vase fortement chauffé, l’eau y est attirée[1].

» Qu’on prenne, en effet, un vase en verre épais, conformé à peu près comme une ventouse, présentant un orifice plus effilé que le reste du corps, et terminé par une pause arrondie ; qu’on y place une chandelle suffisamment allumée et, lorsque l’orifice de ce vase est échauffé, qu’on le plonge vivement dans l’eau, de telle sorte que l’air ne puisse pénétrer d’aucune manière ; vous verrez alors l’eau s’élever rapidement dans le vase, à tel point qu’elle finira par éteindre la chandelle. »

Après avoir ainsi rappelé l’expérience de Philon de Byzance, Pierre d’Abano rappelle, d’après Averroès, qu’il cite, les opinions contraires émises par Alexandre d’Aphrodisias et par Thémistius pour expliquer l’action de la ventouse ; mais pas plus que ces auteurs, il ne prononce même, à cette occasion, le mot de vide.

Pierre d’Abano, comme nous le montre le récit de l’expérience de la chandelle, paraît avoir lu le Tractatus de inani et uacuo ; certainement, il a entendu parler de la théorie qui, pour rendre compte des expériences présentées par ce traité, invoque la nature universelle et Faction par laquelle elle évite le vide ; mais il est clair que ces nouveautés ne lui plaisent point ; comme Averroès, dont il se proclame le disciple, il les dédaigne et s’en tient aux explications d’Aristote et de ses commentateurs anciens. Son enseignement n’avait donc guère préparé l’Université de Padoue à celui que Graziadei devait un jour y donner.

Plusieurs fois déjà, au cours du précédent chapitre, nous avons été conduits à signaler l’influence que la pensée de Bacon

  1. Cette phrase est à peu près incompréhensible dans le texte, parce qu’au mot : aer, un copiste a substitué : Ar., abréviation d’Aristoteles.