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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

impossible, en vertu de la force qui régit l’ensemble de l’Univers, de soulever un disque au-dessus de l’autre. »

De la bouche de Jean le Chanoine, nous venons d’entendre cette expression qui, après les découvertes de Torricelli, et de Pascal, excitera tant de sarcasmes : La nature a horreur du vide. Cette expression, il n’en était pas l’inventeur, car nous verrons qu’en 1310, Pierre d’Abano l’employait déjà. Elle était, en fait, courante depuis longtemps ; elle constituait une sorte de dicton. Guillaume d’Auvergne, par exemple, veut[1] qu’entre Dieu le Créateur et l’âme raisonnable, il y ait des intelligences pures bien que créées ; « sinon, il y aurait un vide, ce dont la nature a horreur. Si non…, esset ibi vacuum, abhorret quod natura. »

Rien n’indique, d’ailleurs, que notre auteur, en usant de cette expression, sous-entende toutes les pensées ridicules qu’on y a, plus tard, reconnues ; rien ne laisse supposer qu’il fasse, de la nature, un être doué de sentiment, capable de sympathie ou d’antipathie ; il est clair qu’il n’a rien voulu signifier, sinon la théorie que Roger Bacon et Gilles de Rome avaient exposée plus en détail.

Albert de Saxe, lui aussi, use de cette expression ; mais le sens qu’il lui confère anime encore moins la nature. Il examine[2] cette objection : « Le plein existe ; donc le vide existe ; la conséquence résulte bien de l’antécédent, car si, de deux choses opposées, l’une existe dans la nature, l’autre, dit-on, y existe aussi. » Il répond : « On l’accorde dans le cas où la nature n’aurait horreur ni de l’une ni de l’autre des deux choses ; mais il n’en est pas ainsi dans le cas proposé, car la nature a horreur du vide (natura abhorret vacuum) ; l’objection donc est sans valeur. »

Or à cette expression : « la nature a horreur du vide », Albert attribue exactement le même sens qu’à celle-ci : « Par aucune puissance naturelle, le vide ne peut être (Per nullam potentiam naturalem possibile est esse vacuum) ». Nous en avons l’assurance par les lignes suivantes, qui se lisent entre l’objection et la réponse rapportées ci-dessus : « Par aucune puissance naturelle, il n’est possible que le vide soit… On le prouve par certaines expériences.

1. Guliermi Parisiensis Episcopi De Universo secunda pars prmclpalis, pars I, cap. XLV (Guliermi Parisiensis Episcopi Opéra, éd. 1516, t. II, fol. GGXIV, col. c.

2. Alberti de Saxonia Quæstiones super libros-de physica auscultations, lib. IV, quæst. VIII.

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