Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VIII.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
149
L’HORREUR DU VIDE

Voici un premier passage intéressant[1], que nous relevons dans ce que cette Somme dit du vide :

« Héron, cet éminent philosophe, s’efforce, à l’aide de clepsydres, de siphons et d’autres instruments, de mettre en évidence l’existence du vide ; ce n’est pas chose qu’il faille réprouver de toute façon. Il ne se propose, en effet, d’établir qu’une chose, c’est que, par un certain artifice, le plein peut être ôté d’un lieu ; cela fait, il faudra nécessairement que le vide reste en ce lieu. Mais c’est seulement pendant la durée instantanée de la transformation que cela se peut faire véritablement. La cause de cet effet, c’est la vertu du lieu naturel qui, de la circonférence au centre, est partout répandue. »

Ce texte nous apprend, tout d’abord, que le Tractatus de inani et vacuo où Bacon avait lu les expériences qui se font avec des clepsydres et des siphons était donné sous le nom de Héron d’Alexandrie ou, tout au moins, citait ce nom. Nous avons reconnu qu’il devait contenir certaines expériences faites par Philon et ignorées de Héron ; qu’il devait également décrire des expériences que Héron rapporte et dont Philon ne parle pas. Nous sommes ainsi conduits à penser que les Arabes avaient donné aux Chrétiens, sous le nom de Héron d’Alexandrie, une compilation où les emprunts faits à cet auteur se mêlaient à ceux que Philon avait fournis.

Nous voyons, en outre (et la lecture de Bacon nous le faisait déjà soupçonner) que ce traité décrivait les expériences de Héron et de Philon à l’envers, si l’on peut dire, et, par ce retournement, présentait des effets contraires à ceux que les mécaniciens ont observé comme des artifices propres à réaliser un espace vide.

Le disciple de Bacon paraît avoir été vivement frappé par l’hypothèse de cette nature universelle, à laquelle son maître attribuait les mouvements qui violentent les natures particulières, afin d’empêcher le vide de se produire. Il en met la notion à la base même de sa Cosmologie.

« La nature, dit-il[2], en tant qu’elle est même chose que la force active et que la forme…, est ou bien nature universelle ou bien nature particulière…

  1. Lincolniensis Summa, cap. CXVIII ; éd. Baur, p. 417. [Ludwig Baur, Die philosophischen Werke des Robert Grosse-Teste Bischofs von Lincoln (Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Bd, IX, Münster, 1912)].
  2. Lincolniensis Summa, cap. CCXLIV ; éd. Baur, pp. 590-591.