Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VIII.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
L’HORREUR DU VIDE

est parfois possible, cependant, qu’elle se trouve logée au sein de la sphère de l’air, voire au suprême faîte de la sphère du feu… L’air et le feu peuvent se trouver transportés fort loin de leurs sphères respectives ; l’eau, qui a pour propriété de surpasser la sphère de la terre, a pu être en partie renfermée dans les entrailles de la terre, afin de laisser apparaître la terre ferme. »

De ces mouvements, contraires aux mouvements naturels, que détermine la nature universelle, notre auteur aurait pu prendre exemple en citant les expériences où cette nature universelle met obstacle à la production du vide. Ces exemples, il les laisse à son maître Roger Bacon, et il en cite un autre, que nous n’avons jamais rencontré hors de sa Somme de Philosophie.

Nous avons vu comment Aristote cherchait dans l’air ébranlé la force motrice qui maintient le mouvement du projectile, après que celui-ci a quitté la main ou la machine balistique. Le prochain chapitre nous montrera qu’au xine siècle, la Scolastique tout entière admettait cette étrange théorie. Notre auteur n’a pas manqué de lui donner son assentiment[1] ; et cependant, elle l’étonne. Que l’air, qui est grave, puisse porter un projectile vers le haut, cela ne saurait être un effet de sa nature particulière ; il faut donc qu’il tienne cette propriété de la nature universelle. Mais citons le curieux passage[2] où se développe cette explication :

« Aristote affirme qu’entre deux mouvements contraires, comme l’ascension d’un grave et la chute de ce même grave, un repos intermédiaire doit s’intercaler nécessairement, d’une nécessité de nature ; aussi voit-on que les graves jetés en l’air demeurent en repos lorsqu’ils parviennent au terme de leur trajectoire vers le haut. Or voilà deux choses [l’ascension et le repos en l’air] qui sont fort contraires à la nature particulière du grave.

» De même, dans le jet d’une pierre, d’une flèche ou d’un objet quelconque mû de mouvement violent, l’air, qui est très mobile et très léger, reçoit, de la violence du premier moteur, une impression par laquelle il puisse conduire le mobile jusqu’au terme du mouvement. Suivant Aristote, à la fin du mouvement aussi bien qu’au milieu, c’est ce même air, mis en branle au début par le moteur violent, qui meut naturellement le mobile,

  1. Lincolniensis Summa, cap. CLXXXI ; éd. Baur, p. 590.
  2. Lincolniensis Summa, cap. CCXLV ; éd. Baur, p. 591-592.