Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VIII.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
L’HORREUR DU VIDE

« Rien, dit-il[1], n’empêche l’eau de couler ni ne le lui défend ; c’est par sa propre nature qu’elle demeure en repos bien que soulevée, en vue de la continuité de la nature commune à tous les corps, continuité qui doit être conservée[2] entre les diverses parties de l’Univers. L’eau, en effet, est une certaine nature qui a deux sortes de rapports. L’un est le rapport qu’elle a à son lieu propre. L’autre est le rapport qu’elle a en vertu de la continuité du milieu (medii) naturel, afin de garder cette continuité avec les autres corps naturels. Cela, elle ne le ferait pas si elle tombait, car l’air ne peut entrer par l’orifice bouché. Or le rapport qu’à l’eau à cette continuité qu’il s’agit de sauver, prime le rapport qu’elle a à l’égard de son lieu propre ; le premier de ces rapports, en effet, lui est dû en tant qu’elle est une partie de l’Univers ; le second, celui qui concerne son mouvement de descente, lui est seulement dû en tant qu’elle est apte à être logée, qu’elle peut être entourée par un lieu qui lui convient mieux qu’un autre lieu. Mais être une partie de l’Univers, c’est une propriété qui, pour l’eau, passe avant la propriété d^être logée et entourée par quelque chose qui lui convienne, une propriété qui lui est plus essentielle ; elle peut, en effet, continuer d’être de l’eau lors même qu’elle ne serait pas entourée par un tel lieu qui lui convînt ; mais elle ne pourrait continuer d’être de l’eau si elle n’était plus une partie de l’Univers. Si donc l’eau demeure immobile en l’air, ce n’est pas, d’une façon première et proprement dite, afin que le vide ne soit pas (propter negationem vacui) ; c’est afin de sauver la continuité de la nature dans le Monde ; et de cette continuité, la privation du vide découle à titre secondaire. Ainsi ce n’est pas une négation qui est, ici, cause d’une affirmation, mais une affirmation. Qu’à cette affirmation une négation soit annexée, cela n’a pas d’inconvénient, car toute affirmation entraîne avec elle une infinité de négations qui lui sont adjointes… Mais une négation ne saurait, d’une façon première et principale, importer une affirmation ; elle n’en peut être la cause ; elle en peut seulement accompagner la cause, comme il arrive ici. »

Après avoir assisté, en lisant les deux séries de Questions sur la Physique et l’Opus majus aux tâtonnements et aux essais de la théorie baconienne, nous la contemplons maintenant en son plein achèvement ; Bacon, en effet, ne la perfectionnera

1. Rogeri Bagonis Op. laad, cap. XLV, pp. 165-166.

2. Le texte publié par Brewer porte : salvatæ : un ms. porte : salvandæ ; il faut, croyons-nous : salvandam.

  1. 1
  2. 2