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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

ceux de Philon. De cette supposition, nous trouverons bientôt une confirmation.

Ce que Bacon a dit des expériences relatives au vide, dans ses deux séries de Questions sur la Physique, fournit la matière des considérations qu’il reprend dans ses divers ouvrages.

Voici, d’abord, dans l’Opus majus[1], l’expérience des deux disques appliqués l’un à l’autre et que l’on ne peut séparer. Nous retrouvons, presque dans les mêmes termes, les considérations que nous avions déjà lues dans la seconde série des Questions, y compris celle-ci : « Il faut dire que l’on ne peut élever l’un des disques au-dessus de l’autre en leur gardant même configuration ; pour que l’un d’eux puisse être soulevé au-dessus de l’autre, il faut qu’on l’incline ; l’air entre ainsi peu à peu. Cela se peut fort aisément éprouver au moyen d’un verre plongé dans l’eau ; car pour rien au monde (pro mundo), il ne peut être levé si l’on garde même configuration à ses parties ; la cause en est que l’eau doit venir peu à peu en occuper le lieu. C’est là la cause positive (affirmativa) en conséquence de laquelle le vide se trouve exclu. »

Dans l’Opus majus, Bacon n’avait parlé du vide que d’une manière incidente ; il en traite ex professo au cours de l’Opus tertium. Là nous retrouvons[2] l’expérience du vase dont le fond est criblé de petits trous ; là aussi, l’auteur rappelle qu’il a parlé, dans l’Opus majus, de l’adhérence de deux disques exactement appliqués l’un contre l’autre.

La raison de cette adhérence, c’est que[3], de la séparation des deux plaques, « résulterait une discontinuité (discontinuatio) de la nature et, entre les parties de l’Univers, discontinuité à laquelle le vide se trouve attaché (annexum)… Aussi, qu’un homme essaye de soulever le disque supérieur en le maintenant parallèle à l’autre (æqualiter) ; il n’y parviendra jamais… Dans l’eau, cela apparaît bien. Si quelqu’un pose sur l’eau la concavité d’un verre, en tenant ce verre par le pied, il peut expérimenter qu’en maintenant la figure bien égale de tous côtés, il ne parviendra par aucune violence à le tirer de l’eau. »

L’expérience du vase perforé donne à Bacon l’occasion d’exposer ses idées sur la fuite du vide avec une précision et une ampleur qu’il ne leur avait pas encore accordées.

  1. Fratris Rogeri Bacon Opus majus. Ed. Jebb. Pars IV, Dist. IV, cap. IX : An corpora se tangant in puncto ; p. 93.
  2. Rogeri Baconis Opus tertium, éd. Brewer, cap. XLIII, pp. 155-156.
  3. Rogeri Baconis Op. laud., Cap. XLV, p. 166.