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L’HORREUR DU VIDE

Cette expérience fait double emploi avec celle que Bacon avait décrite en sa première série de questions et à laquelle il va donner ici le cinquième rang ; il ne l’ignore pas puisque, pour préparer la réponse que nous venons de citer, il écrit : « Prenons un vase perforé dont le fond porte une foule de petits trous ; emplissons-le et bouchons l’orifice supérieur ; rien ne sortira par les trous inférieurs, bien qu’ils ne soient pas bouchés, car le vide se ferait à la partie supérieure du vase ; partant l’eau demeure en repos ; elle ne descend point ni ne se raréfie ; l’eau donc demeurera purement et simplement en repos ; elle ne se répandra pas, afin que le vide ne se produise pas en ce lieu. »

La présence, dans la discussion de Bacon, de ces deux expériences qui sont, au fond, identiques, semble pouvoir s’expliquer par la lecture du traité de Philon de Byzance ; l’expérience « de la marmite » serait suggérée par celle au moyen de laquelle Philon démontre que l’air est un corps.

Nous n’insisterons pas sur ce que Bacon dit de la troisième expérience et de la quatrième ; ces expériences, en effet, telles qu’elles sont décrites, sont dénuées de toute signification réelle. Par exemple[1], « la troisième expérience est celle du tonneau de bronze plein d’eau et bien clos. Si on le garde pendant un an, on trouve qu’il contient, à la fin, moins d’eau qu’au commencement. Cependant rien n’a pu en sortir ni y entrer. Là donc, il y a le vide. »

Dans le traité de Philon de Byzance, il ne se trouve rien qui ait pu suggérer semblable affirmation. Mais on n’en peut dire autant du traité de Héron d’Alexandrie ; là, en effet, nous lisons[2] : « Si l’on enferme cette eau dans un récipient de verre, de bronze ou d’une autre matière solide, et si on la place longtemps au soleil, cette eau ne diminue point, si ce n’est d’une toute petite fraction (οὐκ ἐλαττοῦσαι, εἰ μὴ παρὰ μικρὸν μόριον παντάπασιν αὐτοῦ), ». Serait-ce là la source de la fausse expérience affirmée par Bacon ? En ce cas, le Tractatus de inani et vacuo auquel Bacon, comme la plupart des Scolastiques, paraît avoir emprunté ses connaissances expérimentales ne serait pas simplement cette traduction du traité de Philon de Byzance que Valentin Rose a exhumé ; ce serait une compilation, d’origine arabe, où les souvenirs de Héron d’Alexandrie se mêleraient à

  1. Ms. cit., fol. 48, col. a.
  2. Heronis Alexandrini Spiritalium liber a Federico Commandino Conversus. Urbini, MDLXXV. fol. 5, ro. — Heronis Alexandrini Opera quæ supersunt omnia ; éd. W. Schmidt, vol. I, pp. 14-15.