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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

ut si palma mea tangat Secanam. » Elle nous apprend, en effet, que la question fut discutée à Paris. Retenons-en également ce passage, qui prépare la solution : « D’autres disent que les disques ne pourront être soulevés s’ils gardent leur configuration, de telle manière que chaque partie [du disque supérieur] soit soulevée également. Au fur et à mesure que les diverses parties sont soulevées, l’air pénètre d’une manière successive ; à l’instant même où une partie est soulevée, l’air pénètre au-dessous, afin qu’il ne se fasse point de vide. »

Voici maintenant la solution que propose Bacon :

« Si les deux disques étaient superposés l’un à l’autre, on ne pourrait jamais soulever le disque supérieur à moins d’en incliner quelque partie. Il faut donc que quelque inclinaison se fasse avant qu’on puisse le soulever ; sinon le vide se produirait ; et cela provient de la nature universelle. Ils répondent donc bien, ceux qui répondent que le disque ne peut être soulevé de la sorte.

» Cela se voit, dans l’eau, d’une manière évidente. Que l’on pose sur l’eau un verre (cyphus) [retourné], et qu’on le soulève en gardant la même configuration, sans l’incliner d’un côté plus que de l’autre ; il n’y a pas d’homme au monde qui le pourrait lever ; aussi, comme il est manifeste aux sens, faut-il, pour le lever, l’incliner d’abord d’un certain côté. Il en est de même dans l’air, bien qu’avec les deux disques, ce ne soit pas aussi manifeste aux sens qu’avec le verre. C’est pourquoi, donc, il ne faut pas admettre le vide. »

On aime à faire de Roger Bacon un adepte précoce de la méthode expérimentale ; des pages comme celles-ci nous montrent assez qu’il expérimentait seulement en imagination. Chacun sait qu’un verre plongé dans l’eau se laisse soulever sans grand effort ; au contraire, l’adhérence de deux disques plans se peut observer sans aucune difficulté. Il est clair que notre auteur n’avait tenté ni l’une ni l’autre des deux épreuves.

La troisième expérience[1] se fait au moyen d’un vase pansu que Bacon appelle une marmite (olla) ; mais il ajoute que l’orifice en est de petite dimension (modicum orificium). Que l’on remplisse d’eau ce vase, et qu’on le renverse ; si l’eau s’écoule, l’espace contenu dans la panse demeurera vide. Que se passe-t-il en réalité ? « L’eau doit plutôt demeurer immobile, comme l’expérience le montre. »

  1. Ms. cit., fol. 47, col. d, et fol. 48, col. a.