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L’HORREUR DU VIDE

Si l’on brise le vase disposé comme il vient d’être dit, on trouvera de l’eau au fond ; Averroès dit qu’il en a parfois trouvé.

» Or l’air étant comprimé dans un moindre volume, l’eau se meut en même temps vers le haut, en suivant la surface de l’air, qui a avec l’eau une ressemblance naturelle ; et afin qu’il ne s’interpose aucun vide, il monte un volume d’eau égal au volume dont l’air est comprimé.

» Si alors, par l’extérieur, on échauffe le fond du vase, l’eau redescend à son lieu naturel ; par la chaleur, en effet, l’air qui avait été condensé dans le fond du vase se raréfie et revient à sa disposition première. »

Remarquons que cette expérience, telle que Pierre d’Auvergne la complète, est textuellement celle qui, au xvne siècle, devait donner le premier thermomètre. Or, ce complément, rien de ce qu’ont écrit les commentateurs d’Aristote ne l’a pu suggérer ; Philon, au contraire, à sa première expérience, adjoint une contre-épreuve toute semblable.

Pierre d’Auvergne poursuit en ces termes :

« Quant à la cause pour laquelle la terre ne serait pas soulevée si l’on disposait le vase à son égard comme on l’a fait pour l’eau, c’est que ses diverses parties ont peu de continuité entre elles, en sorte qu’elle n’est pas bien contiguë à la surface de l’air ; aussi, grâce à la porosité de ses parties, ne peut-elle pas bien empêcher l’entrée de l’air extérieur. Mais s’il arrivait que la terre à laquelle le vase est appliqué fût bien continue en ses diverses parties et qu’elle ne permît pas l’entrée de l’air extérieur, il serait nécessaire ou bien que le feu n’eût pas d’action pour raréfier l’air, par exemple parce qu’il s’éteindrait, ou bien que le vase se brisât, ou bien que l’on admît l’existence du vide, ou bien enfin que la terre fût soulevée ; et le plus raisonnable, c’est de penser que ce dernier effet se produirait, car c’est celui qui correspond à la moindre inclination en sens contraire. »

Albert le Grand avait fait une simple allusion à cette pensée : Les corps, dans la nature, se suivent toujours de telle sorte qu’il n’y ait aucun vide entre eux. Cette pensée se retrouve dans l’exposition de Pierre d’Auvergne, et sous une forme où nous reconnaissons les idées que professait Philon de Byzance touchant l’affinité entre l’air et l’eau. Cette pensée, amplement développée, va devenir une des doctrines favorites de Roger Bacon.