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L’HORREUR DU VIDE

en se servant d’outres pour le démontrer. On montre aussi la force de l’air dans les clepsydres qui sont des instruments qui ravissent (jurantia) l’eau ; car cleps est un mot grec qui signifie larcin et ydros signifie eau. Cet instrument est étroit par le haut ; il porte un col terminé par un petit orifice que l’on peut boucher avec le doigt ; par le bas, il est large, et le fond en est percé de beaucoup de trous. Après qu’on l’a plongé dans l’eau, si l’on bouche l’orifice supérieur, l’eau ne coule pas par le bas. Ces gens disaient que cela provient de la force de l’air qui retient l’eau. Mais ils se trompaient. S’il est vrai de dire, en effet, que l’air est quelque chose, ce n’est pas, cependant, à cause de la force de l’air que l’eau demeure immobile dans le vase ; c’est parce que rien n’est vide. Il faut donc que les surfaces des corps soient conjointes les unes aux autres ; partaut, l’eau ne se sépare aucunement de la surface de l’air [qui reste à la partie supérieure du vase] à moins que cet air ne la puisse suivre dans sa chute et qu’un autre air ne puisse succéder à celui-là ; c’est ce qui a lieu lorsque l’orifice supérieur est débouché. C’est l’un des principes dont se servent les ingénieurs ; par ce principe, en effet, on combine une multitude de vases et de siphons (Et hoc est unurn principiorum quo utuntur qui faciunt ingénia ; fïunt enim multa vasa et syphones per illud principium). Aussi, ceux qui veulent lever un grand poids avec un petit instrument rendent-ils, tout d’abord, inséparables les surfaces du corps qu’ils veulent soulever et de l’instrument ; alors, par celui-ci, ils lèvent celui-là. »

Il n’est pas douteux qu’Albert le Grand n’ait sous les yeux, lorsqu’il écrit ce passage, le Tractatus de inani et vacuo traduit ou imité de Philon de Byzance ; non seulement il lui emprunte la description de l’instrument propre à l’expérience dont il parle, mais il le suit encore en affirmant que l’eau et l’air doivent demeurer conjoints sans qu’il y ait, entre leurs surfaces, aucun intervalle vide. De ce principe, il indique, d’ailleurs, une application qui ne se trouvait pas au livre de Philon ; il avait, sans doute, vu des enfants qui s’amusaient à soulever un pavé à l’aide d’une lanière de cuir, mouillée et fortement appliquée à la surface de la pierre[1].

1. Dans son Traité du Ciel, Albert le Grand parle de l’ascension de l’eau dans les vases échauffés et du sang dans les ventouses ; mais il ne fait que paraphraser le commentaire d’Averroès sans y rien ajouter (Alberti Magni De Caelo et Mundo lib. IV, tract. II, cap. VIII : In quo probatur quod media elementa sunt in locis suis magis gravia quam levia).

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