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L’HORREUR DU VIDE

se garder de toute allusion aux preuves expérimentales qui avaient cours chez ses compatriotes.

Aristote, puis Simplicius, avaient parlé de l’expérience de la clepsydre comme propre à démontrer que l’air est un corps ; ils n’avaient fait, en la rapportant, aucune allusion à l’impossibilité du vide. Dans ce qu’Averroès dit de la même expérience[1], nous trouvons une telle allusion, encore que bien fugitive :

« Ils pressaient, dit-il, des outres gonflées, au point de sentir au toucher le jet de l’air qui en sort, et ils manifestaient par là que l’air n’est pas le vide, mais bien un corps. Ils en faisaient autant à l’aide de l’entrée de l’air dans les chantepleures (in cantaploris)[2]. En effet, tant que cet instrument demeure clos par le haut, l’eau ne coule pas par le bas ; elle s’écoule dès qu’on en débouche le haut. Cela provient nécessairement de l’entrée de l’air dans l’instrument ; lorsque l’eau en sort, il ne demeure pas vide, mais l’air succède à l’eau. »

Averroès a lu le commentaire de Thémistius au Traité du Ciel ; son attention a été vivement attirée par la discussion entre l’auteur et Alexandre d’Aphrodisias au sujet de la succion de l’eau par les ventouses et les vases échauffés ; à son tour, il a repris en grand détail cette discussion[3].

En exposant, l’une des expériences dont parle Thémistius, Averroès y introduit une modification ; il suppose que l’on mette une chandelle dans un vase, qu’on en bouche aussitôt l’orifice, et qu’on enlève le couvercle après avoir plongé dans l’eau le col du vase. Cette modification ne s’expliquerait-elle pas par ceci qu’Averroès a sous les yeux le traité de Philon de Byzance et que des expériences qui y sont décrites et que nous avons rapportées, il confond la seconde avec la première ?

Averroès prend partie pour Alexandre contre Thémistius qui, dit-il. « a détruit les raisons d’Alexandre sans rien dire qui ait trait à la question (et nihil dicit in hoc’)… Pour nous, nous dirons que la cause est ici manifeste et toute prochaine à qui prend la peine de réfléchir ; et l’on s’étonne de l’ignorance de ces hommes profonds à ce sujet.

1. Averrois Cordubensis In libros Aristotelis de physico auditu. commentaria magna. Lib. IV, summa II, cap. I, comm. 51.

2. « Chantepleure, nous dit le dictionnaire de Littré, sorte d’entonnoir qui a un long tuyau percé de trous pour faire couler les liquides dans un tonneau sans les troubler. » H est clair que, par ce nom, oïi a voulu désigner ici un instrument propre à répéter l’expérience que Philon réalisait avec un œuf métallique pourvu d’un goulot et, percé, dans le fond, de petits trous.

3. Averrois Cordubensis In libros Aristotelis de Cælo commentaria magna, lib. IV, summa III, cap. V, comm. 39, digressio.

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