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LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

de la forme du grave, et cela n’est pas, car elle est le principe principal (principale principium) du mouvement du grave vers le bas et la gravité n’est que l’instrument au moyen duquel elle meut. Quant au raisonnement qui a été rapporté, il y faudrait ajouter : Lorsqu’une chose repose d’une manière naturelle en un lieu, elle ne peut être mue hors de ce lieu, si ce n’est par violence. Mais il n’en est pas ainsi pour le composé de la matière et de la forme substantielle du grave ; sans doute, en quelque lieu qu’on le place, il y demeurerait en repos ; mais ce ne serait pas d’une manière naturelle ; posé en un milieu élevé, en effet, il aurait une inclination à descendre ; seulement, il ne pourrait descendre, par suite de la destruction de l’instrument nécessaire. »

Albert de Saxe et Marsile d’Inghen n’ont donc pas compris le rôle que la masse devait jouer dans la chute des graves ; ils n’ont pas admis davantage la théorie d’Ibn Bâdjâ sous la forme que lui avait donnée leur maître Buridan. Voici ce qu’Albert écrit à cet égard[1] :

« Au sujet de la résistance intrinsèque, quelques-uns ont dit que tout agent naturel est de puissance finie, c’est-à-dire qu’il est, de lui-même, borné à un certain degré de vitesse qu’il ne franchirait pas lors même que toute résistance extrinsèque serait supprimée ; c’est cette limitation qu’ils posent en guise de résistance intrinsèque. Ils diraient donc que de la terre pure, placée dans le vide tomberait avec une vitesse finie, savoir : avec ce degré de vitesse auquel elle est bornée par elle-même. Ils diraient aussi que les corps plus pesants sont bornés à un degré de vitesse plus élevé que les corps moins pesants. Ils diraient enfin que si un grave simple était placé dans le vide, si le vide existait, ne s’y mouvrait point subitement, mais successivement, parce que la puissance qui meut ce grave est limitée et finie.

» Mais cette imagination est contre Aristote. » Pour la rejeter, Albert lui oppose diverses objections qui ne procèdent nullement d’une intelligence exacte de l’hypothèse émise par Buridan. Ces médiocres objections sont soigneusement reprises par Marsile d’Inghen, en son Abrégé, afin de prouver « que la limitation de la puissance n’est pas la cause de la succession dans le mouvement d’un grave ».

1. Alberti de Saxonia Op. laud,, lib. IV, quæst. IX.

2. Marsilii Inguen Abbreviationes libri phisicorum, fol. sign. 1 3, col. b et c.

3. Joannis Marcilii Inguen, Questiones in libros physicorum secundum nominalium oiam, lib. IV, quæst. VIII.

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