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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

lopperont magnifiquement ; là, en particulier, ils rencontreront la notion de masse, et ils la définiront en des termes tout semblables à ceux dont Newton usera un jour. Comment se fait-il que ces mêmes docteurs, trouvant, sous une autre forme, la notion de masse en ce qui a été dit du mouvement dans le vide, n’aient pas su la reconnaître et l’ait impitoyablement repoussée ? C’est que cette unique notion entrait en même temps dans la Mécanique par deux voies si différentes qu’il était bien malaisé de croire qu’elle fût, des deux manières, la même idée. De telles hésitations, de telles contradictions sont bien propres à nous faire comprendre combien les premiers principes de notre Mécanique étaient cachés, éloignés de la simple connaissance commune, difficiles à découvrir ; elles sont bien propres à accroître notre admiration pour ceux qui peu à peu, au prix de pénibles efforts, ont exhumé ces précieuses vérités.

Voici, tout d’abord, en quels termes[1] Buridan rejette la notion de masse telle que Saint Thomas l’avait conçue :

Dans la chute d’un grave, « la matière première ne résiste pas au moteur ; la matière première, en effet, n’a aucune inclination vers un lieu déterminé ni vers une certaine disposition ; si même on veut dire qu’elle a, d’une manière passive, inclination et appétit, elle incline cependant d’une manière indifférente à ce à quoi tend le moteur aussi bien qu’à l’opposé ; en ce qui est de la matière première, donc, cette inclination ne saurait empêcher que le moteur ne meuve ; partant, ce n’est pas ce que nous appelons une résistance. Une résistance, en effet, c’est une inclination qui se fait d’une manière active, qui est si bien déterminée à une chose qu’elle ne le soit pas à la chose opposée, et qui est déterminée à une chose opposée à celle vers laquelle tend le moteur ; une telle résistance ne saurait convenir à la matière car elle est indifférente à l’égard de toutes les formes, de toutes les dispositions dont, pour les choses naturelles, l’existence est possible. »

Toutefois, si Buridan rejette absolument la notion d’une résistance intrinsèque constituée par la masse même du corps, il n’a pas la même sévérité pour l’opinion d’Avempace, qu’il présente sous la forme suivante[2] d’où se trouve exclue toute considération de résistance intrinsèque. « Toute résistance

  1. Johannis Buridani Acutissime questiones super octo phisicorum libros ; lib. IV, quæst. IX ; fol. lxxiiii, col. c.
  2. Jean Buridan, loc. cit., fol. lxxvi, col. b et c.