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LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

Telle est la théorie que Burley expose[1] avec complaisance et à laquelle nous verrons Buridan, Albert de Saxe, Marsile d’Inghen, s’attarder à l’envi.

Pas plus que Jean de Jandun, Burley ne consent[2] à regarder comme vitesse empêchée et troublée la vitesse qu’un grave prend dans un milieu plein et à réserver le nom de vitesse naturelle à celle qu’il acquérerait dans le vide.

« Un corps grave ou léger, dit-il, ne possède pas une vitesse déterminée d’une manière absolue, mais seulement une vitesse relative au milieu au sein duquel il se meut ; et quelque soit la vitesse ou la lenteur qu’il a en son mouvement naturel, elle lui est naturelle.

» Si donc un grave se meut dans un milieu dense, la vitesse avec laquelle il se meut lui est naturelle à l’égard de ce milieu ; il n’est donc pas empêché d’y prendre sa vitesse naturelle, bien qu’il soit empêché d’y prendre la vitesse qui lui serait naturelle s’il se mouvait dans un autre milieu ; il n’est pas, pour cela, entravé en son mouvement naturel, car sa nature n’est pas de prendre dans un milieu plus dense la vitesse qu’il prendrait naturellement dans un milieu plus subtil. »

Que la loi de chute d’un grave dans le vide soit la loi essentielle de ce mouvement ; que la chute dans le plein soit un mouvement complexe et troublé, cette pensée, qui devait être si féconde, répugne invinciblement à des raisons formées par la discipline péripatéticienne ; Jandun, et Burley mieux encore, viennent de nous faire entendre la protestation qu’exhale cette répugnance.

Que des esprits fermement attachés aux principes d’Aristote et du Commentateur, comme ceux de Jean de Jandun et de Walter Burley, se soient montrés réfractaires à tout ce qu’Ibn Bâdjâ, Thomas d’Aquin et Duns Scot avaient dit du mouvement dans le vide, nous ne saurions nous en étonner. Nous sommes plus vivement surpris de trouver en une attitude toute semblable, Jean Buridan et ses disciples Albert de Saxe et Marsile d’Inghen.

Après qu’aux idées insensées d’Aristote touchant le mouvement des projectiles, les Scotistes auront substitué la théorie plus raisonnable de Jean Philopon, Buridan, Albert de Saxe, Marsile d’Inghen adopteront la théorie nouvelle et la déve-

  1. Walter Burley, loc. cit. ; éd. cit., fol. sign. o, colt b. c et d.
  2. Walter Burley, loc. cit., éd. cit., folio qui précède le fol. sign. o, col. a.