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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

puissance peut être conçu comme existant en acte. Là où intervient un pouvoir créateur, cet adage n’est plus de mise.

Pour savoir, donc, si Dieu a pouvoir de produire une grandeur infinie au sens catégorique du mot, il y aura lieu d’examiner directement si l’existence d’une telle grandeur infinie implique ou non contradiction ; de la réponse à cette question-ci dépendra la réponse que l’on doit faire à celle-là, puisque Dieu peut produire tout ce qui n’implique aucune contradiction.

La forme nouvelle, que le dogme chrétien du pouvoir créateur de Dieu apportait en cette question de l’infini, n’apparut pas aussitôt après la publication du décret d Étienne Tempier. Henri de Gand, qui avait pris part aux délibérations préparatoires à ce décret, n’en vit pas, d’abord, toutes les conséquences.

Le Docteur Solennel admet cependant, d’une manière très constante et très formelle que, s’il lui plaît, Dieu peut, hors des bornes de ce Monde, produire un corps nouveau.

« Dieu, dit-il[1], peut fort bien, hors du ciel ultime, créer un corps ou un autre monde, de même qu’il a créé la terre en la région interne du monde ou du ciel, de même encore qu’il a créé le monde lui-même et le ciel ultime. »

« Le Soleil, dit-il encore[2], contient toute sa matière, toute la matière qui est capable de recevoir la forme du Soleil, ou, du moins, toute celle qui est déjà faite ; mais il ne contient pas toute celle qui sera faite ou qui peut être faite par Dieu. C’est pourquoi Dieu peut faire une matière capable de recevoir de nouveau la forme du Soleil, matière absolument telle que celle qui se trouve maintenant sous la forme du Soleil ; il peut donc, pourvu qu’il le veuille, faire un nouveau Soleil. »

En dépit de ces principes si nettement affirmés, Henri de Gand va garder, au sujet de l’infiniment grand, les conclusions d’Aristote, d’Averroès et, surtout, de Saint Thomas d’Aquin ; visiblement, en effet, il s’inspirera de l’enseignement de ce docteur.

En une de ses discussions quodlibétales, le Docteur Solennel est

  1. Quodlibeta Magistri Henrici Goethals a Gandavo doctoris Solemnis ; Socii Sorbonici ; et archidiaconi Tornacensis, cum duplici labella Vænundantur a Jodoco Badio Ascensio, sub gratia et privilegio ad finem explicandis. Colophon : In chaleographia Iodoci Badii Ascensii… ab undecimo Kalendas Septemb. Anno domini MDXVIII. Quodlibetum XIII, quæst. III : Utrum Deus possit facere corpus aliquod extra cælum quod non tangat cælum ; fol. CCCCCXXI, verso.
  2. Henrici a Gandavo op. laud., Quodlib. XI, quæst. I : Utrum Deus possit facere sub una specie specialissima, angeli aliquem alium angelum æqualem in natura et essentia specici angelo jam facto sub illa. Éd. cit., fol. CCCCXVIII, verso, et foi. CCCCXIX, recto.