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L’INFINIMENT GRAND

quence : Les théologiens qui disent « Dieu peut créer une nouvelle quantité de matière, l’ajouter à un autre corps fini, et ainsi de suite indéfiniment » ne sauraient faire usage de cette proposition du Philosophe : Si une grandeur est en puissance par la seule addition de parties préexistantes et sans génération de parties nouvelles, une grandeur égale à celle-là est en acte…

» Certains théologiens accordent que Dieu pourrait accroître le volume du Ciel, qu’il pourrait, par exemple rendre le Ciel deux fois plus grand, trois fois plus grand, et ainsi de suite indéfiniment ; de telle sorte qu’étant donnée n’importe quelle grandeur finie, Dieu pourrait créer une grandeur double de celle-là. Ces théologiens, cependant, nieraient que Dieu pût créer une grandeur actuellement infinie, car cette dernière proposition entraîne peut-être contradiction ; et, d’ailleurs, il est véritable que cette proposition : Étant donnée une grandeur, Dieu peut faire une grandeur double de celle-là, et une double de la seconde, n’entraîne pas formellement cette proposition-ci : Dieu peut faire une grandeur actuellement infinie.

» On dira peut-être que toute grandeur qui peut être conçue en puissance peut aussi exister en acte ; qu’elle pourrait être formée par l’addition simultanée de toutes ces parties qui ont été créées. Je dis que cette proposition est fausse ; ce n’est pas ainsi que doit être comprise cette proposition fameuse, mais bien comme il a été dit plus haut, c’est-à-dire de la manière suivante : Si une grandeur peut être conçue en puissance par simple addition de parties préexistantes et sans aucune création de parties nouvelles, une grandeur égale peut exister en acte. Cette remarque permet, on 1e voit sans peine, de répondre à toutes les difficultés que l’on peut opposer à l’accroissement des formes à l’infini. »

Ce beau passage de Burley n’offre pas seulement l’avantage de marquer avec une extrême clarté l’antagonisme qui existe entre la théorie péripatéticienne de l’infimment grand et le dogme chrétien de la toute-puissance créatrice de Dieu ; il montre, en outre, de la manière la plus heureuse quelles sont les relations mutuelles des diverses thèses que la Scolastique va examiner.

En premier lieu, puisque Dieu a tout pouvoir de créer des corps nouveaux, on ne saurait lui refuser la faculté de produire une grandeur infinie au sens syncatégorique du mot.

En revanche, on n’aura pas le droit de conclure immédiatement de là que Dieu peut produire un corps infiniment grand au sens catégorique du mot, en invoquant, pour justifier cette conclusion, l’adage péripatéticien : Ce qui peut être conçu comme existant en