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CHAPITRE II
L’INFINIMENT GRAND

I
EN QUELS TERMES LE PROBLÈME DE L’INFINIMENT GRAND
SE POSAIT À LA SCOLASTIQUE


Tout problème sur l’infiniment petit est un problème sur l’infiniment grand ; l’étude de l’un des deux in Unis ne se sépare pas de l’étude de l’autre ; c’est une vérité que les maîtres de la Scolastique ont clairement aperçue ; sans cesse, aux discussions sur l’infiniment grand, ils ont appliqué les méthodes qui leur avaient permis de traiter de l’infiniment petit ; mieux encore, ils ont, la plupart du temps, donné, des deux problèmes, une théorie unique.

Cette analogie entre la théorie de l’infiniment grand et la théorie de l’infiniment petit était, au contraire, absolument méconnue par la philosophie péripatéticienne.

Pour Aristote, aucune grandeur infinie n’existe en acte, car l’Univers est borné. Elle ne saurait, non plus, exister en puissance ; on a beau réaliser une quantité de plus en plus grande, il existe assurément une limite qu’elle ne saurait franchir, car elle ne peut excéder les bornes du Monde, Aucun pouvoir ne saurait donc réaliser une grandeur qui excède n’importe quelle grandeur donnée d’avance.

Ce raisonnement vaut pour un pouvoir qui est tenu de prendre tel qu’il est, ce Monde que, d’ailleurs, on regarde comme borné ; qui ne peut ajouter aucun corps, si petit soit-il, aux corps qui existent déjà ; il vaut, en un mot, pour un pouvoir à qui il n’est pas donné de créer ; il ne vaut point pour un pouvoir créateur à qui il esl permis de produire sans cesse des corps nouveaux, de reculer sans fin les bornes de l’Univers.