Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Une bonne partie des sophismes auxquels donnait lieu la division d’une longueur en parties proportionnelles tenaient, en effet, à l’emploi de locutions vicieuses telles que celles-ci : Je prends toutes les parties proportionnelles d’un continu, je considère la dernière partie proportionnelle formée en la division d’un continu, etc. En quoi de telles locutions impliquent erreur, Buridan excelle à le mettre en évidence.

Il prend, par exemple[1], une colonne cylindrique que des plans parallèles à la base partagent en parties proportionnelles ; il imagine que l’on trace une droite parallèle aux génératrices, et cela de la manière suivante : « Un premier segment traverse la première partie proportionnelle et ne passe pas au delà ; un second segment franchit la seconde partie proportionnelle, sans la dépasser, et ainsi de suite, il est manifeste qu’aucun de ces segments rectilignes ni aucune ligne droite composée de ces segments ne passe au delà de toutes ces moitiés proportionnelles… Or il est manifeste qu’aucune droite n’est tracée au travers de toutes les moitiés proportionnelles à moins qu’elle ne passe au delà de toutes ces moitiés ; en effet, menée au travers de la colonne tout entière, jusqu’au terme par lequel cette colonne touche le corps qui lui est extérieur, elle dépasse toutes ces moitiés, »

« Par toutes ces moitiés, donc, [en prenant : toutes au sens syncatégorique,] passe une ligne droite ainsi tracée, mais aucune ligne droite ainsi tracée ne passe par toutes ces moitiés, [si l’on prend : toutes au sens catégorique] (Per omnes est aliqua protensa. sed non est aliqua protensa per omnes). Il y a une ligne qui est tirée au long de cent parties, il y en a une qui est tirée au long de nulle parties, et ainsi de suite, quel que soit le nombre donné ; mais il n’en résulte pas qu’il existe une telle ligne tracée au travers d’une infinité de parties ou au travers de toutes les parties, car il n’y a pas de parties dont on puisse dire qu’elles sont une infinité de parties ; il n’en existe pas dont on puisse dire qu’elles sont toutes les parties (quia nullæ sunt infinitæ et nullæ sunt omnes). »

« Il est bien vrai, dit encore Buridan[2], que si l’on prend le mot : infinité au sens syncatégorique, en l’infinité des parties d’une ligne, il y a une dernière partie ; il est bien vrai qu’entre toutes les parties proportionnelles de cette ligne, il y a une dernière partie ; cependant, il n’est aucune moitié proportionnelle qui soit la dernière en ce sens qu’il n’y en ait pas une autre qui soit encore après

  1. Johannis Buridani op. laud., lib. III, quæst. XVI, fol. LIX, col. b.
  2. Johannis Buridani op. laud., , lib. III, quæst. XVIII, fol. LXIII. LX11I (marqué par erreur LXII), col. d.