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L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

parcours de la palme. Lors donc que l’on divise un continu, si chaque partie a son existence propre et séparée, et si ces parties sont produites par une division en acte, la division de ce continu ne sera jamais achevée… Ainsi tout temps est divisible à l’infini, mais ses parties sont seulement en puissance. »

Ces remarques et d’autres remarques analogues contraignirent les maîtres de la Scolastique à réfléchir sur les circonstances où une grandeur variable tend vers une limite sans jamais l’atteindre ; bientôt leur esprit, aiguisé par de continuels exercices de Logique, sut raisonner sur de tels sujets avec une rigueur qui, aujourd’hui encore, est rarement surpassée ; témoin ce passage de Walter Burley[1] :

« Ce que nous venons d’exposer prouve la vérité de la proposition suivante, dont la connaissance n’est pas fort commune : Étant donnée une ligne, on peut y marquer des segments dont la longueur décroisse en progression géométrique, et l’on peut, en même temps y assigner un point auquel il sera impossible de parvenir par aucune opération finie. Cela aura lieu si l’on prend comme premier segment la moitié de la longueur à l’extrémité de laquelle ne doit conduire aucune division finie, comme second segment, la moitié du premier segment et ainsi de suite. Au contraire, tout point en deçà de l’extrémité pourra être atteint par une division finie. Cela peut, sans peine, être démontré géométriquement, mais, pour le moment, nous n’insisterons pas sur la démonstration. »

La connaissance de cette proposition n’était pas, nous dit Burley, fort commune de son temps. À ce moment, les paralogismes à la Zénon d’Élée étaient une inépuisable mine de ces sophissmata dont la solution était l’un des exercices favoris de l’Université de Paris et, surtout, de l’Université d’Oxford. Grégoire de Rimini nous cite[2] quelques-uns de ces sophismata discutés à Oxford, par Henricus Hibernicus, par Adam Goddam, par Clienton ou Clymeton Lengley. Tous ces sophismes se résolvent par cette remarque[3], intimement liée à celle de Burley : « En une grandeur, il y a une infinité de parties proportionnelles, le mot : infinité étant pris au sens syncatégorique ; il en résulte qu’aucune de ces parties n’est la dernière. »

  1. Burleus Super octo libros physicorum, lib. III, tract. II, cap. IV. Ed. Venetiis, 1491, fol. 70, col. b.
  2. Gregorii de Arimino In secundum librum Sententiarum opus, dist. II, quæst. II, art, I ; éd. Claude Chevallon, fol. XXXIII, col. d, à fol. XXXV, col. d.
  3. Grégoire de Rimini, loc. cit. ; éd. cit., fol. XXXIV (marqué par erreur XXXIII), col. c.