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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

chacune d’elles doit être prouvée en soi et sans souci de la vérité de l’autre. « C’est ainsi que cette proposition : À l’infini, le continu est divisible (In infinitum continuum est divisibile) n’entraîne pas cette autre : Le continu est divisible à l’inlini (Continuum est divisibile in infinitum) ; car, en la première, il s’agit d’un infini syncatégorique et, en la seconde, d’un infini catégorique. »

L’apparente antinomie que les contemporains de Roger Bacon trouvaient si redoutable, que Bacon appelait la massue d’Hercule et qu’il se vantait d’avoir brisée, est maintenant dissipée.


VI
La notion de limite. Le maximum et le minimum


Si l’on prend le mot infini au sens syncatégorique, tout continu est divisible à l’infini ; cette vérité est communément admise par les Scolastiques du xive siècle qui en font, dans leurs spéculations, un continuel usage.

L’exemple qu’ils invoquent le plus volontiers est le suivant : On divise le continu donné en deux parties égales ; une des deux moitiés ainsi obtenues est, à son tour, divisée en deux parties égales ; puis l’un de ces deux quarts est partage en deux huitièmes, et ainsi de suite. On forme ainsi une suite de parties dont les grandeurs décroissent en progression géométrique de raison C’est ce que l’on appelle, dans les écrits du Moyen Âge, diviser un continu en parties proportionnelles.

Le paralogisme célèbre d’Achille et de la tortue, attribué à Zenon d’Élée, conduisait les logiciens à méditer sur cette division qui se poursuit toujours sans s’achever jamais. Voici, en eflet, ce que nous lisons dans un écrit de Gilles de Rome[1]  :

« En ce qui concerne la division du temps à l’infini, il se présente une difficulté. Si cette division à l’infini pouvait être réalisée en acte, un cheval rapide n’atteindrait jamais une fourmi. Supposons, en effet, qu’un cheval se meuve de la moitié d’une palme et qu’il s’arrête ; qu’il se meuve, après cela, de la moitié de la demi-palme restante et qu’il s’arrête de nouveau, et ainsi de suite ; comme le continu est divisible à l’infini, il n’achèvera jamais le

  1. Egidiis cum Marsilio et Alberto De generatione. Quæstiones super primo de generatione. D. Egidii ; quæst. XI. Ed. Venetiis, per Luceantonium de Giunta, fol. 57, col. a.