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L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

tout corps fini correspondrait un corps fini plus grand (Infinitum est corpus finitum, quia omni corpore finito esset majus corpus finitum). »

Cette forme, si propre à rappeler à l’esprit qu’en l’étude de l’infini syncatégorique, il n’a jamais à considérer que des grandeurs finies, est celle que Buridan emploie de préférence lorsqu’il veut énoncer quelque importante proposition ; en voici un exemple particulièrement net[1] :

« Il peut y avoir un mouvement éternel ou infini et, de même, un temps étemel, du moins dans le futur… Cette conclusion est évidente si l’on prend ces mots : éternel et infini, au sens syncatégorique. Selon Aristote, en effet, on devrait dire : il n’existe aucun mouvement, aucun temps de si longue durée qu’il n’y ait un mouvement, un temps de plus longue durée ; et, selon la vérité de notre loi » il en est de même. « Le temps et le mouvement peuvent durer perpétuellement et à l’infini. Donc, infini peut être le mouvement fini, car il ne saurait exister un mouvement fini si grand qu’il ne pût exister un mouvement fini plus grand (Igitur infinitus potest esse motus finitus, quia non potest, esse tantus finitus quin possit esse major finitus). »

En cette définition de ’infini syncatégorique, Jean Buridan a atteint une précision que nul, même de nos jours, n’a pu dépasser ; ses successeurs immédiats demeurent fort en arrière du point auquel il était parvenu, et même de celui que Grégoire de Rimini avait atteint. Ainsi, après avoir critiqué les deux formules de Pierre l’Espagnol : Non tantum quin majus, non tot quin plures, Albert, de Saxe se contente[2] de ces deux définitions qui valent l’une pour les grandeurs continues, l’autre pour les collections d’objets distincts : Aliquantum, et quantumlibet majus ; aliquot et quantumlilet plures vel plura. Ni Grégoire ni Buridan n’avaient trouvé ces formules assez précises et assez claires.

En revanche, Albert de Saxe ne le cède à aucun de ses prédécesseurs pour la netteté avec laquelle il dénonce l’hétérogénéité logique de l’infini catégorique et de l’infini syncatégorique. « Si l’on formule deux propositions semblables, dit-il[3], mais que l’infini soit tenu pour catégorique dans l’une et pour syncatégorique dans l’autre, ces deux propositions sont radicalement hétérogènes (impertinentes) entre elles ; elles ne résultent pas l’une de l’autre ; elles ne répugnent pas non plus l’une à l’autre. » La vérité de

  1. Johannis Buridani loc. cit., lib. VIII, quæst. III, fol. CXI, coll. b et c.
  2. Alberti de Saxonia Quæstiones in libros Physicorum ; lib. III, quæst. X.
  3. Albert de Saxe, loc. cit.