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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

« Parlons maintenant de l’infini pris au sens syncatégorique[1], et remarquons, à ce sujet, que l’on a accoutumé de donner diverses définitions de cet infini pris au sens syncatégorique. On le définit d’une première manière pour les grandeurs [continues] : Il est d’une certaine grandeur, mais non pas si grand qu’il ne puisse être plus grand (aliquantum, et non tantum quin majus) ; on le définit d’une manière analogue pour les multitudes [d’objets distincts] : Il est en un certain nombre, mais il n’est pas en si grand nombre qu’il ne puisse être plus nombreux (aliquanta et non tanta quin plura). »

Pas plus que Grégoire de Rimini, Buridan n’est pleinement satisfait de ces définitions presque immédiatement inspirées des Summulæ : comme Grégoire et plus encore que Grégoire, il cherche à les remplacer par une définition plus précise. « Il me semble, dit-il, qu’elle équivaut à la précédente, cette définition-ci, qui est exprimée en fermes plus brefs et plus clairs : Dire que B est infini en grandeur cela signifie qu’à tout B, correspond un B plus grand (Infinitum esse B secundum magnitudinem significat quod omni B est B majus). Ainsi dire que B est infini en longueur, cela signifie qu’à tout B correspond un B plus long ; il en est de même pour l’infini en vitesse, et aussi pour l’infini en longueur, pour l’infini en petitesse, etc. D’ailleurs, par les termes infini en longueur, infiniment long, de longueur infinie (infinitum secundum longitudinem, infinite longum, infinitum longum), j’entends la même chose. »

Déjà, nous avions entendu[2] Buridan définir de la sorte l’infiniment petit, et nous avions admiré la précision de son langage, que l’algèbre moderne la plus rigoureuse n’a fait que reprendre. De cette précision, cependant. Buridan ne se contente pas encore, et il va l’accroître.

Il remarque, en effet[3], cette conséquence de la définition qu’il vient d’attribuer à l’infini syncatégorique :

« S’il existait un corps infini, le mot infini étant pris au sens catégorique,… cette proposition : il y a un corps infini, où le mot infini est pris au sens syncatégorique serait fausse… car il y aurait un certain corps, savoir le corps [catégoriquement] infini, tel qu’aucun corps ne soit plus grand que lui… Toutefois, si ce corps [catégoriquement] infini existait, la proposition suivante serait bien vraie : Infini [au sens syncatégorique] est le corps fini, car à

  1. Buridan, loc. cit., fol. LXII (marqué par erreur LXI), col. b.
  2. Voir § III.
  3. Buridan, loc. cit., coll. b et c.