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L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

tare) : en effet, quelle que soit la charité donnée, l’existence d’une charité plus grande que celle-là n’entraîne aucune contradiction. »

Mais revenons à Grégoire de Rimini et à la distinction qu’il pose entre l’infini catégorique et l’infini syncatégorique. « Ces deux acceptions du mot infini, dit-il[1] , diffèrent notablement. En effet, du côté du sujet, si l’infini est entendu d’une manière syncatégorique, il rend la proposition universelle, ce qu’il ne fait pas s’il est entendu au sens catégorique. Aussi, arrive-t-il parfois qu’une proposition est vraie si on la prend d’une façon, et fausse si on la prend de l’autre façon. Supposons, par exemple, que le Monde doive demeurer perpétuellement dans les dispositions actuelles, et que l’on énonce cette proposition : Une infinité d’hommes seront défunts. Si le terme : une infinité est pris au sens syncatégorique, elle est vraie, car quel que soit le nombre fini que l’on donne, le nombre des défunts sera plus grand (quotcunque finitis plures erunt præteriti). Mais si l’on prend le terme infini au sens catégorique, la proposition est fausse, car les défunts ne seront pas plus nombreux que n’importe quel nombre fini (non plures quotcunque finitis).

Jean Buridan n’attache pas moins d’importance que Grégoire de Rimini à la distinction entre l’infini catégorique et l’infini syncatégorique ; lui aussi, il s’efforce de préciser les définitions données par Pierre l’Espagnol.

« Cette question, dit-il[2], à propos de la divisibilité à l’infini, présente de nombreuses difficultés, dont la première est la suivante : Comme le terme infini peut être pris au sens catégorique ou au sens syncatégorique, la question doit être exposée de l’une et de l’autre manière ; et comme le choix des noms est arbitraire, bien des gens disposent de leurs définitions selon leur bon plaisir ; ensuite, on est tenu de parler conformément à ces définitions car, au dire d’Aristote, la définition de nom est le point de départ de toute la doctrine. Il me semble qu’à prendre ce terme d’infini au sens catégorique, Aristote l’aurait, pour les grandeurs, défini de la manière suivante : Ce qui est étendu sans borne, ou bien : Ce qui est étendu et non borné…

» Il faut remarquer que ce nom d’infini, pris au sens catégorique, possède de nombreuses propriétés… La première est qu’il s’oppose sous forme privative à cet autre nom : le fini, de la même manière que le non-borné s’oppose au borné, que : n’avoir aucun terme s’oppose à : avoir des termes… »

  1. Grégoire de Rimini, loc. cit.
  2. Johannis Buridani op. laud., lib. III, quœst. XVIII, fol. LXI, coll. c et d.