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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

au sens syncatégorique du moi. La proposition : Continuum est divisibile in infinitum signifia : Le continu est divisible à l’infini, en prenant le mot infini ati sens catégorique.

Cette convention très simple mettait, dans les discussions, beaucoup de clarté et de concision. Buridan la connaît et l’emploie ; nous le voyons[1], par exemple, opposer l’une à l’autre ces deux propositions : Infinita est linea gyrativa et : Linea gyrativa est infinita, dont il regarde la première comme syncatégorique et la seconde comme catégorique. Les considérations qu’il développe à ce propos nous font connaître l’origine de cette convention ; en la seconde proposition, dit-il, « le terme ligne est pris dans un sens déterminé, puisqu’il n’y a, avant ce terme, aucun mot qui lui donne le sens confus. » Nous nous souvenons alors que Pierre l’Espagnol a tracé cette règle : « Lorsque le terme infini s’applique au sujet, il donne la signification confuse au terme qui le suit. » C’est donc à l’enseignement des Summulæ que le Moyen Âge est redevable de la convention dont nous venons de parler.

De cette convention, Buridan ne paraît user que d’une manière irrégulière et intermittente ; il lui arrive même de combattre[2] ceux qui prétendent « que tout mot placé du côté du prédicat doit être entendu au sens catégorique, et non pas au sens syncatégorique. » Cette convention, au contraire, est très constamment et très scrupuleusement respectée par Albert de Saxe et ses successeurs. Aussi, en son Exposition sur le De Caelo, qu’il date du 15 octobre 1514, Agostmo Nifo attribue-t-il[3] au « savant péripatéticien Albertilla », c’est-à-dire à Albert de Saxe, l’invention de cette forme de langage. Elle lui était, cependant, antérieure ; nous venons d’en donner des preuves ; nous en pouvons encore citer un témoignage formel.

Le témoignage en question nous est fourni par ce disciple anonyme d’Ockam dont l’œuvre nous est conservée en un manuscrit légué à la Sorbonne, vers 1350, par Henri Pistoris de Lewis. Cet auteur nous dit[4] qu’au gré d’Ockam, « Dieu peut accroître la charité à l’infini ou, pour mieux parler en logicien, à l’infini augmenter la charité (Deus potest augmentare caritatem in infinitum vel, magis logice loguendo, potest in infinitum caritatem augmen-

  1. Johannis Buridani Quæstiones super octo Physicorum libros Aristotelis, lib. III, quæst XVIII, fol. LXIII (numéroté par erreur LXII), col. b.
  2. Buridan, loc. cit.
  3. Aristotelis Stagiritæ De Cœlo et Mundo libri quatuor, e græco in latinum ab Augustino Nipho philosopho Suessano conversi, et ab eodem etiam… aucti expositione… Venetiis apud Hieronymum Scotum 1550. Lib. I, fol. 31, col. d.
  4. Anonimi Tractatus, cap. I, conclusio 6a (Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms, No, fol. 121, col. a.