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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

n’est pas nécessairement un infini en acte ; qu’il peut fort bien n’être qu’un infini en puissance et qu’il ne devient pas, pour cela, infini syncatégorique.

Puisque le sens catégorique et le sens syncatégorique sont, pour le mot infini, deux sens radicalement différents, nous n’avons plus à nous étonner qu’une même proposition, où figure ce mot infini, puisse devenir vraie ou fausse selon que l’on prend ce mot au sens syncatégorique ou bien au sens catégorique. Cette conséquence de la distinction posée par Pierre l’Espagnol est déjà admise par Walter Burley qui en cite un exemple[1]. Cette proposition : Dans toute grandeur donnée, il y a une infinité de parties égales entre elles et placées les unes hors les autres, peut être vraie ou fausse : Elle est fausse si on la prend cathegoreumatice, entendant que l’on peut, dans cette grandeur, distinguer d’une manière effective une infinité de parties égales entre elles et égales à une quantité donnée d’avance. Elle est vraie si on la prend syncathegoreumatice, comme affirmant la possibilité de trouver, en la grandeur donnée, un nombre toujours croissant de parties dont la grandeur n’est pas assignée d’avance.

Le profond logicien qu’est Grégoire de Rimini va creuser très avant la séparation, marquée par Pierre l’Espagnol, entre l’infini catégorique et l’infini syncatégorique.

Voici, en effet, ce qu’il écrit au début de ses recherches sur l’infini[2] :

« La discussion des opinions que certains philosophes professent en cette matière nous amène à poser une distinction au sujet de ce terme : infini, qui peut être pris en deux sens différents ; selon le langage communément reçu, il peut être pris au sens syncatégorique ou bien au sens catégorique.

» S’il s’agit de quantités continues, le premier sens équivaut à cette phrase : Une quantité qui ne peut être si grande qu’il n’en existe une plus grande (non tantum quin majus). S’il s’agit de collections d’objets distincts, il équivaut à cette autre phrase : Une multitude qui ne peut être si nombreuse qu’il n’en soit une plus nombreuse encore (non tot quin plura). »

Ces définitions sont calquées sur ce que Pierre l’Espagnol a dit de l’infini syncatégorique ; elles ne satisfont pas entièrement le très subtil Augustin qui, pour caractériser l’infini syncatégorique, pro-

  1. Burleus Super octo libros physicorum, Lib. III, tract. II, cap. IV ; éd. Venetiis, 1491, fol. 70, col. c.
  2. Gregorius de Arimino In secundurn Sententiarum opus. Dist. II, quæst. II, art. I, Ed. Claude Chevallon, fol. XXXIII, col. a.