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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

De la difficulté que Bacon a tenté de résoudre, Richard ne propose aucune solution ; il n’en signale pas même l’existence.

Cette difficulté, le Docteur Subtil l’a clairement aperçue et la solution qu’il a proposée[1] surpasse de beaucoup celle de Bacon.

À un certain instant (nunc), un continu peut être divisé réellement en a parties ; il peut être divisé réellement en b parties ou, à la fois, en a parties et en b parties. Mais il ne peut se faire qu’à un certain instant, même indéterminé, ce continu se trouve réellement divisé en a parties, en b parties, en c parties,…, a, b, c étant tous les nombres possibles.

Chacune de ces divisions peut être réalisée en un certain instant ; il en est de même d’un groupe quelconque de telles divisions ; mais elles ne sont pas toutes compossibles en un même nunc ; les possibilités en nombre infini qui correspondent à ces divers modes de division ne peuvent pas se trouver, toutes à la fois, réduites à l’acte.

Pour rendre claire sa pensée, Duns Scot donne un ingénieux exemple de possibilités dont chacune peut être réalisée isolément, ou simultanément avec d’autres, mais qui ne peuvent être réalisées toutes ensemble :

Socrate a la force de porter 9 pierres, et on en donne 10. Socrate peut porter une quelconque des pierres ou un groupe quelconque de 2, de 3,… de 9 pierres ; mais il ne saurait porter les 10 pierres à la fois.

Ces pensées de Duns Scot, Walter Burley les admet pleinement et les expose avec son habituelle clarté[2] :

« Lorsqu’on dit : Un continu peut être divisé d’une manière actuelle en toutes les parties en lesquelles il est divisible, je réponds que cela n’est pas vrai. Le continu, en effet, peut être actuellement divisé en chacun de ses points ; cependant, il est impossible qu’il se trouve divisé, d’une manière actuelle, simultanément en chacun de ses points. Si l’on objecte que cette proposition est vraie : En n’importe quel point, le continu peut être divisé d’une manière actuelle, je réponds : Il faut distinguer selon que cette proposition considère la composition ou la division. Au sens de composition, cette proposition est fausse, car elle signifiera la possibilité de cette autre proposition : Un continu est actuellement divisé en n’importe quel point ; or il est impossible et faux que le continu soit, d’une manière actuelle et simultanément, divisé en chacun de ses points.

  1. Joannis Duns Scoti Scriptum Oxoniense, lib, II, dist. II, quæst. IX.
  2. Burleus Super octo libros physicorum, lib. VI, tract. I, cap. I ; éd. Venetiis 1491, fol. 155, col. d.