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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

« Vous qui possédez ce qu’a dit Maître Nicole Oresme, comparez : Vos habentes dicta M. N. Orem, comnarate. »

Après avoir surpris et, peut-être, scandalisé les Parisiens, la Scolastique d’Oxford finit par être en grande vogue à la Sorbonne et rue du Fouarre. Quelle fut la cause de ce triomphe ? Qui rendra jamais raison des caprices de la mode ? Il est permis, en tout cas, de remarquer que les discussions quodlibétiques, que les épreuves essentielles de maint examen, durent singulièrement favoriser cette invasion de la Dialectique anglaise ; il avait beau jeu en ces tournois de syllogismes, celui qui était habile à lier et à délier les arguments sophistiques ; aussi maint témoignage nous apprend-il que les chicanes et les calculationes à la Suiseth étaient de continuel usage en ces joutes logiques.

Il advint ainsi que la méthode d’Oxford fut, au xve siècle, comme la caractéristique de l’École de Paris. Lorsque Averroïstes ou Humanistes, au temps de la Renaissance, s’en prenaient à la Scolastique parisienne, ce sont les habitudes empruntées à l’École d’Oxford qu’ils tournaient en dérision ; Jean Pic de la Mirandole a horreur des quisquiliæ Suiceticæ ; pour forger un sobriquet qui ridiculise les Parisiens, Nifo transforme le titre de calculatores en l’épithète de captiunculatores ; c’est à Suiseth que s’en prend le plus volontiers la verve sarcastique de Louis Vivès. Ce que l’on reproche le plus vivement aux Parisiens, c’est de s’être mis à la mode d Oxford ; leurs vieux docteurs, ceux qui s’habillaient à la française, échappent presque toujours à la dérision.

Les adversaires de la Scolastique parisienne, d’ailleurs, ne s’y trompaient pas tous ; plusieurs n’hésitaient pas à montrer du doigt les véritables inventeurs de la forme nouvelle prise par la Logique. Écoutons[1] Leonardo Bruni d’Arezzo († 1444) :

« Que dirons-nous de la Dialectique, cet art si nécessaire en la discussion ? Son règne est-il florissant ? A-t-elle échappé entièrement à la calamité de la guerre que mène l’ignorance ? Point du tout, car cette barbare qui habite au delà de l’Océan s’est ruée sur elle. Mais quelles gens, grand Dieu ! Leurs noms mêmes me remplissent d’horreur : Ferabrich, Tysber[2], Ockam, Suisset, et autres de même sorte ; ils me semblent tous avoir emprunté leurs surnoms à la troupe de Radamanthe… Qu’y a-t-il, dis-je, en la

  1. Leonardi Arbetini De disputationum usu, Nürnberg, Feuerlin, 1734, p. 26 ; cité pur Prantl Geshichte der Logik im Abendlande, IVTter Bd, Leipzig, 1870 ; note 39, p. 160.
  2. Le texte dit : Busser ; nous l’avons corrigé selon l’indication de Prantl, Il est peu probable que Léonardo d’Arezzo entende parler de Guillaume Bucer, qui se trouvait à Paris au temps d’Albert de Saxe.