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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Le principe posé par Aristote et par Averroès semble donc conduire à cette conséquence : Une grandeur peut être, d’une manière actuelle, divisée en une infinité de parties ; et cependant, l’enseignement de ces deux auteurs nie formellement cette conclusion.

Cette apparente contradiction obligea la Scolastique à creuser le sens de ce terme : indéfiniment divisible en puissance, plus profondément qu’Aristote et ses successeurs ne l’avaient fait. Elle distuigna deux manières d’être en puissance. Il est des puissances susceptibles d’être entièrement actualisées ; de ce qui est en puissance de cette manière, la réalisation peut, à un moment donné, être un fait accompli, in facto esse. Il est aussi des puissances dont la réalisation en acte ne peut jamais être pleinement achevée ; si loin que l’on pousse cette réalisation, il reste toujours de la puissance non actualisée ; de ce qui est en puissance de la sorte, la réalisation ne peut jamais, à quelque moment que ce soit, être conçue comme un fait accompli, in facto esse ; elle est toujours en voie de se faire, in fieri.

De cette pensée, dont l’indication, confuse encore, se trouve dans Aristote, Roger Bacon paraît être un des premiers qui se soient préoccupés. En son Opus tertium[1], il l’exprime avec une remarquable netteté : « La puissance de division dans un corps ne peut pas être réduite à l’acte pur et complet. C’est une puissance que l’on peut seulement réduire à un acte impur et incomplet, auquel demeure sans cesse mélangée une certaine puissance pour un acte ultérieur : elle est réduite à l’acte, mais de telle manière qu’il demeure une puissance pour un nouvel acte de division. Telle est la puissance qu’a le continu et qui constitue la divisibilité à l’infini ; lorsque cette puissance se trouve réduite à la division actuelle, elle n’exclut pas la possibilité d’un nouvel acte de division ; bien mieux, elle la pose ; en effet, la partie qui résulte de la division est une grandeur ; parlant, elle est encore divisible, et ainsi de suite à l’infini. »

Ceux qui soutiennent la possibilité de la division actuelle à l’infini repoussent cette conception, et cela par l’argument suivant :

Si chacune des propositions particulières est possible, si chacune d’elles est possible en même temps que chacune des autres, la proposition universelle est sûrement possible. Or il est possible

  1. Fr. Rogeri Bacon Opera quidam hactenus inedita. Edited by J. A. Brewer, London, 1859. Opus tertium, cap. XXXIX, pp. 132-133.