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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

l’opinion dont il est le tenant, il inventera de toutes pièces des objections sophistiques pour montrer qu’il sait les résoudre.

À ce travers, les plus grands des scolastiipies n’ont pas échappé. On devine sans peine à quels excès ce vice intellectuel a dû se porter en une Ecole dont la dextérité dialectique semble avoir été tout le souci. Tout problème de Théologie, de Morale, de Physique est devenu un prétexte à imaginer des difficultés captieuses et à en triompher par de subtiles roueries. Bientôt, la démonstration directe, destinée à donner de la vérité une aperception immédiate et face à face, a complètement disparu ; on s’est imaginé que l’on avait établi une opinion lorsqu’on avait réfuté, en les acculant à quelques inconvenientia, les opinions, réelles ou fictives, que l’on avait énumérées à l’encontre de celle-là ; on n’a plus employé que cette sorte de démonstration par l’absurde, nullement convaincante d’ailleurs, car, bien entendu, l’énumération des opinions possibles n’y était jamais complète ; tout raisonnement n’a plus été que chicane.

L’idée, si féconde, que les intensités des diverses formes et qualités se peuvent mesurer ou, tout au moins, représenter par des nombres, est venue accroître encore l’épineuse subtilité de la Dialectique scolastique ; en y introduisant les gradus, les formæ uniformes, les formæ uniformiter difformes, elle a donné à cette Dialectique une sorte d accoutrement mathématique, et lui a fourni de nouveaux procédés pour forger des sophismes aussi bien que pour les briser ; à ces arguties revêtues d’une parure arithmétique, on a donné le nom de calculationes. Les calculationes sont déjà nombreuses dans les Questions de Guillaume de Colligham, au De primo motore de Swineshead, en la Summa de Dumbleton ; elles envahissent tout, elles portent partout leur fausse précision et leur apparente rigueur, au Liber sex inconvenientium et au traité de Riccardus de Ghlymi Eshedi, le Calcullaleur par excellence.

Les calculationes pénètrent alors partout, disons-nous ; elles pénètrent même et surtout en des domaines qui semblent, par nature, échapper aux prises du calcul ; telle la Théologie. D’ailleurs, n’est-ce pas en discutant sur l’accroissement de la grâce en l’âme du chrétien que les commentateurs de Pierre Lombard ont conçu la pensée de représenter par des nombres les divers degrés d’intensité d’une forme ou d’une qualité ? Tout naturellement, donc, les maîtres d’Oxford, fidèles à la tradition de Richard de Middleton, ont été conduits à construire une Morale et une Théologie mathématiques où la ferveur de la grâce, où la gravité du