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LA LATITUDE DES FORMES À OXFORD

discerner la règle que ce raisonnement viole et dont 1’emploi fera évanouir le fallacieux paralogisme.

La solution des sophismes se présente donc comme un légitime exercice de Logique, tant qu’elle demeure un exercice. Mais la gymnastique qui ne se propose plus simplement de fortifier et d’assouplir le corps, la gymnastique qui cesse d’être un moyen et se prend pour une fin, devient acrobatie ; de même, en toute étude, l’exercice artificiel qui perd de vue l’objet réel pour lequel il a été combiné devient une acrobatie ; ainsi la casuistique morale ou juridique peut, dégénérer en acrobatie, ainsi la solution des problèmes peut prêter à l’acrobatie mathématique et la solution des sophismes à l’acrobatie logique.

Au temps de Guillaume Heytesbury, cette acrobatie logique était le sport en vogue à l’École d’Oxford.

L’idée de collectionner des sophismata, des insolubilia propres à exercer des jeunes dialecticiens, comme on collectionne des problèmes pour exercer les jeunes géomètres, est trop naturelle pour ne pas être très ancienne. Dès la seconde moitié du xiiie siècle, on fit des recueils de ce genre. C’en est un, en effet, que ces Impossibilia de Siger de Brabant que le P. Mandonnet a publiés[1], et que M. Clemens Bauemker a publiés de son côté[2], mais en se méprenant d’une façon si étrange, à la suite de Barthélémy Hauréau, sur leur véritable nature[3]. C’est également un Sophisma que cette question de Siger de Brabant[4] : Utrum hæc sit vera : Homo est animal, nullo homine existente.

Au temps de Sieger de Brabant, d’ailleurs, à l’Université de Paris, la mode dormait fort en la discussion des affirmations paralogiques[5] ; des manuscrits divers conservent une collection de sophismes analysés par Pierre d’Auvergne et des questions sophistiques détachées dues à Pierre de Saint-Amour, à Boèce de Dacie, à Bonus Dacus, à Nicolas de Normandie[6]. En 1320, Albert le Grand se plaignait[7] que « beaucoup de Parisiens abandonnassent la Philosophie pour s’adonner aux sophismes ».

  1. Pierre Mandonnet O. P., Siger de Brabant, IIe Partie (Textes inédits) ; p. 71-94. (Les Philosophes Belges. Textes et études, t. VII. Louvain, 1908.)
  2. Clemens Bauemker, Die Impossibilia der Siger von Brabant, eine philosophische Streitschrit aus dem XII. Jahrhundert. Münster 1898.
  3. Pierre Mandonnet O. P., Siger de Brabant, Ire Partie (Étude critigue) ; pp. 127-138, en note (Les Philosophes Belges, t. VI, Louvain, 1911).
  4. Pierre Mandonnet O. P., Siger de Brabant, IIe Partie (Testes inédit) ; pp. 63-70.
  5. Pierre Mandonnet O. P., Siger de Brabant, Ire Partie (Étude critique p. 123.
  6. Pierre Mandonnet O. P., loc. cit., pp. 123-124 en note.
  7. Pierre Mandonnet O. P., Op. laud., IIe Partie, p. p. 35.