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LA LATITUDE DES FORMES. ORESME ET SES DISCIPLES

« Aucun mode de combinaison, aucune force des vertus naturelles ne saurait exercer de contrainte sur les démons. »

Partant, les pratiques magiques à l’aide desquelles les nécromanciens prétendent évoquer les esprits ne sauraient avoir l’efficacité que leur prêtent ces charlatans. Dans ses divers écrits, Nicole Oresme n’avait cessé d’insister sur cette vérité ; Henri de Hesse termine son ouvrage en acquiesçant à l’enseignement de son maître ; il rappelle[1], dans les dernières lignes, cette affirmation de « Guillaume de Paris dans la troisième partie de son livre De l’Univers, que rien ne peut contraindre les démons, si ce n’est les saints anges et le Créateur très haut. Il dit, en effet : Excepté ceux-ci, savoir Dieu et les saints anges, nous ne trouvons rien de plus fort que les malins esprits. »

Dans leur lutte contre la magie, Nicole Oresme et Henri de Hesse se peuvent, à juste titre, regarder comme les continuateurs de Guillaume d’Auvergne ; ils demeurent fidèles à la tradition parisienne.

À côté de la Physique très générale construite par Aristote, il y a place pour une Physique spéciale qui pénètre davantage dans le détail des phénomènes, qui ne se borne pas à l’étude des effets les plus communs ; cette Physique spéciale, déjà Roger Bacon la vantait sous le nom de Science expérimentale ; à l’aide de pensées empruntées à Nicole Oresme, Henri Heynbuch, de Langenstein, s’est proposé d’en tracer le plan ; il n’en a voulu permettre l’accès à rien d’occulte, à rien de mystérieux ; il a voulu que tout effet se pût ramener en dernière analyse, aux seules actions des quatre qualités premières définies par Aristote ; ces actions, il a pensé que l’étude arithmétique des rapports entre les intensités, que la représentation géométrique des distributions suffiraient à les caractériser ; en sorte que la Physique spéciale qu’il imaginait eût vraiment mérité le nom de Physique mathématique.

Sa tentative était grandement prématurée, et il l’a compris ; la Physique qu’il rêvait, il n’a pas vraiment cherché à la réaliser ; il s’est borné à montrer que la réalisation en serait très difficile, et peut-être même impossible. Aussi, de cette ébauche inachevée, de cette tentative avortée, la science n’a-t-elle rien gardé. Elle méritait, cependant, de retenir un instant notre attention ; elle est, en effet, un document singulièrement significatif de l’esprit qui régnait, à la fin du xive sièclee, dans les écoles de Paris ; on

  1. Henri de Hesse, loc, cit. ; ms. no 2.831 fol. 115, vo ; ms. no 14.580 fol. 212, col. d, et fol. 213, col. a.