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LA LATITUDE DES FORMES. ORESME ET SES DISCIPLES

Cette médecine rationnelle, d’ailleurs, lui semble trop compliquée pour que l’homme puisse jamais en découvrir les lois. « Je ne crois pas[1] qu’aucun médecin ait jamais connu, qu’aucun médecin doive jamais connaître de quelle espèce sont les six rapports des quatre qualités prises deux à deux et leur relation avec la complexion de l’homme tout entier, de chacune de ses parties, de chacun de ses organes. Comment serait-il possible à l’homme de savoir si la latitude totale de la chaleur du foie, lorsqu’elle est disposée de la manière la plus naturelle, est la moitié, le tiers ou le quart de l’humidité du même organe ? Et on en peut dire autant des rapports entre la latitude de chaleur de l’homme tout entier et les latitudes d’humidité, de sécheresse, de froid de ce même homme. »

Une telle conclusion ne s’applique pas seulement à la Médecine ; elle est également vraie de cette Physique spéciale dont Henri de liesse souhaite la construction. Sans doute, tous les effets que cette Physique doit étudier se ramènent, en dernière analyse, à des combinaisons d’actions exercées par les quatre qualités premières ; ces effets sont déterminés par les latitudes totales de ces qualités, par leurs mutuels rapports, par les figures qui en déterminent la distribution dans l’agent et dans le patient. « Mais[2], dans un mixte, les quatre qualités premières sont reliées entre elles par six certains rapports, dans un autre mixte par six autres rapports, et ainsi à l’infini ; en effet, la multitude des espèces de rapports est infinie ; l’atténuation d’une qualité se poursuit aussi à l’infini. » Et, de même, les espèces diverses de difformité qui peuvent figurer la distribution d’une qualité dans un sujet sont infiniment nombreuses.

L’homme ne saurait donc prévoir quels effets se peuvent tirer de ces combinaisons infiniment variées des qualités premières ; l’expérience seule lui peut enseigner quels sont ces effets. « Qui donc[3] avant la révélation de l’expérience, eût songé que les rayons de lumière, en se combinant avec divers degrés d’opacité, pris sous une si petite latitude qu’on ne puisse percevoir, dans la largeur de l’arc-en-ciel, la variété d’intensité ou de faiblesse de la

  1. Henri de Hesse, loc. cit. ; ms. no 2.831, fol. 106, ro ; ms. no 14.580, fol. 206, col. c.
  2. Henrici de Hassia Op. laud., cap. XXIV ; De modis et speciebus combinacionum virium tocius nature ; ms. no 2.831, fol. 114, ro ; ms. no 14.580, fol. 212 col. a.
  3. Henrici de Hassia Op. laud., cap. XXV : De effectibus talium combinacionum et ultimato posse nature ; ms. no 2.831 ; fol. 114, vo ; ms. no 14.580, fol. 212, col ; b.