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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Chacune de ces parties, et pour chacune de ses qualités, requiert une certaine espèce de difformité qui, mieux que toute autre, convient à l’intensité de cette qualité ; que cette espèce de difformité requise par cet organe pour sa chaleur ou son froid, pour sa sécheresse ou son humidité, vienne à éprouver quelque changement, et cette partie du corps est malade.

» De là cette conséquence : Supposons qu’en quelque organe, ces quatre qualités aient, à l’heure, des intensités [totales] égales à celles qu’elles possèdent à présent, quelles aient, les unes à l’égard des autres, les mêmes proportions que maintenant. Il pourra se faire que l’animal soit alors très malade, tandis qu’à présent, il ne l’est pas. Voici quelle en est la cause : Pour chacune des quatre qualités, la nature exige que, dans l’étendue de l’organe, la latitude ait son intensité figurée d’une certaine façon. Il peut se faire que cette configuration ait éprouvé quelque changement pour une des qualités, bien que cette qualité ait gardé même intensité [totale] qu’auparavant. En effet, des latitudes d’espèces différentes peuvent être égales entre elles par leur intensité [totale], comme on le montre dans l’art des latitudes.

» Voici une seconde conséquence : Parce qu’on reconnaît que telle chose est naturellement salutaire au cœur, que telle autre est bonne pour le foie, qu’une autre encore contrarie le jeu de cet organe, le blesse et l’empoisonne, il n’est pas nécessaire d’admettre quelque vertu dans ces substances ; tout cela peut être sauvé à l’aide des vertus communes dont les latitudes et les intensités, au sein de ces substances, ont des représentations semblables ou dissemblables à celles qu’elles présentent dans ces organes. »

En cette dernière conséquence, nous reconnaissons, d’une manière particulièrement nette, une pensée d’Oresme.

C’est ainsi qu’Henri de Hesse entend que la médecine soit construite sans aucun recours aux vertus occultes. Il entend aussi[1], d’ailleurs, qu’elle se passe de cette « matière peccante » aux dépens de laquelle Molière devait un jour égayer le parterre.

Notre auteur conçoit ainsi une sorte de médecine rationnelle, mathématique, qui, pour rendre compte de la marche des maladies et de l’action des remèdes, considérerait seulement, au sein des divers organes et dans les diverses préparations, les intensités des quatre qualités premières, leurs mutuels rapports, les figures par lesquelles l’Art des latitudes en représente la distribution.

  1. Henri de Hesse, loc. cit. ; ms. no 2.831, fol. 106, ro ; ms. no 14.580 fol, 206, coll. c et d.