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LA LATITUDE DES FORMES. ORESME ET SES DISCIPLES

ces effets aux influences célestes ou bien aux vertus occultes des choses d’ici-bas ; c’est la consolation que recherche notre impéritie, lorsque notre paresse nous empêche de chercher ailleurs une raison.

» Par exemple, la tristesse ou le plaisir d’un homme dépend beaucoup de la façon dont l’état de cet homme a changé au cours de la journée ; il importe grandement de savoir si ce changement a été une altération uniformément difforme commençant à un certain degré, ou bien une altération constamment uniforme, ou bien encore une altération difformément difforme de telle ou telle espèce ; car la multitude de ces espèces est infinie. Il est très certain qu’un mode de variation est beaucoup plus pénible, difficile à supporter, ennuyeux qu’un autre, alors même que les latitudes seraient égales en intensité » totale.

N’allons pas dédaigner trop tôt ces réflexions. Les médecins d’aujourd’hui ne pensent-ils pas qu’il importe grandement ; pour juger d’une lièvre, de connaître, au cours de la journée, la représentation graphique de la température du malade ?

C’est, du reste, à la médecine qu’Henri de Hesse applique le plus volontiers sa théorie.

« Chacune des parties, hétérogène aux autres parties, du corps d’un animal, dit-il[1], requiert une chaleur radicale qui soit figurée d’une façon déterminée, et d’autre manière que celle d’une autre partie. Une partie, par exemple, exigera, peut-être par nature que la latitude de sa chaleur soit uniforme en intensité ; une autre, que cette latitude soit uniformément difforme ; une autre encore requerra nue autre espèce de latitude diflormément difforme, et la multitude de ces espèces est infime, comme le montre l’Art des latitudes des formes.

» À chaque point du cœur, en effet, correspond un certain degré de chaleur naturelle ; plus intense en un point, ce degré est pluns faible en un autre point. Partant, la distribution de chaleur naturelle que la nature assigne au cœur doit être grandement difforme en intensité ; mais elle le doit, être d’une certaine manière ; elle doit présenter l’espèce de difformité qui convient le mieux au rôle de cet organe, à la place qu’il occupe à l’égard du tout et des autres organes.

» Il faut se faire une imagination semblable de la distribution de la latitude du froid dans le cerveau, de la chaleur dans le foie.

  1. Henrici de Hassia Op. laud., cap. VIII : Descendit ad armoniam et discrasiam microcosmi ; ms. no 2.831, fol. 105, vo ; ms. n°|14.580, fol. 206, col. c.