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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

offerts seulement à un petit nombre d’hommes, au cours d’une longue suite de temps, à l’aide de recherches minutieuses et d’expériences voulues ; cette considération, cette science permettraient de déduire une philosophie singulière et occulte ; cette philosophie traiterait des natures occultes des choses, de leurs conditions, vertus, manières d’agir et de se transformer qui ne sont pas habituelles, qui semblent merveilleuses au point de vue de l’observation commune et de la philosophie vulgaire. »

Pour constituer cette philosophie spéciale, Henri de Langenstein voudrait qu’on réunît tous les effets naturels mais insolites, mais étrangers au cours habituel des choses qu’a pu révéler la pratique de la Médecine, de la Chirurgie, de l’Alchimie, de l’Astronomie ; qu’on rassemblât aussi tous les phénomènes que révéleraient des expériences où les choses seraient combinées les unes avec les autres, appliquées les unes aux autres des manières les plus variées.

De toutes ces observations, comment, à son gré, pourrait-on déduire la philosophie qu’il souhaite ? Il prend pour exemple « la discipline astronomique, qui suffit aux apparences recueillies ; ainsi ont été inventées les démonstrations astronomiques. » Ce qu’il souhaiterait à chacune des parties de sa philosophie spéciale, ce sont des hypothèses tellement imaginées que les déductions auxquelles elles serviraient de principes permettraient de sauver les phénomènes. C’est bien ainsi, nous l’avons dit[1], que l’École de Paris concevait la construction de la Physique.

« Semblablement, donc, chaque art, chaque discipline donnerait lieu à la déduction d’une philosophie spéciale : en plusieurs de ces conclusions, ce serait une philosophie occulte pour ceux qui philosophent [selon la philosophie commune] ; à l’égard de cette dernière philosophie, elle se comporterait comme une sorte de métaphysique naturelle ; elle lui montrerait ce qui est, pour elle, comme transcendant ; elle enseignerait des choses qui, selon la considération de la philosophie commune, paraissent surnaturelles et sans lien [avec les effets habituels] : de cette considération commune, elle corrigerait, elle affinerait les principes rudimentaires touchant les essences des choses, leurs actions et passions, leurs diverses manières d’agir, leurs rapports naturels les unes à l’égard des autres.

» Envers la philosophie commune, cette philosophie spéciale se comporterait comme se comporte la Théologie à l’égard de la

  1. Voir : Quatrième partie, tome VI, chap. IX, § D, p. 105 et pass.