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LA LATITUDE DES FORMES. ORESME ET SES DISCIPLES

Henri de Langenstein s’avoue donc disciple d’Oresme ; il ne fait guère, d’ailleurs, que développer et présenter d’une manière systématique les thèses proposées par le futur évêque de Lisieux. Sa pensée n’a pas l’originalité de celle du savant français ; elle n’en a, non plus, ni l’ordre, ni la clarté ; trop souvent, la doctrine d’Henri de Hesse s’égare dans de longs détours ou se diffuse en redites. La langue même du Docteur allemand est fréquemment obscure et barbare ; lorsque nous lisons[1] : calor activatur et fit activa actualiter, nous songeons au Latin dont usera le recteur de l’Université de Paris pour haranguer Gargantua.

Le premier chapitre du traité d’Henri de Hesse est une sorte de préambule qui mérite de retenir l’attention.

À la Physique trop générale d’Aristote, Bacon opposait la Science expérimentale, appliquée à l’étude des effets particuliers et peu communs, dont il ne cessait de vanter l’excellence et la fécondité. Sous ce titre : « De la façon de découvrir la Philosophie naturelle », Henri de Langenstein développe et précise la pensée de Bacon[2].

« C’est l’étonnement qui a fait, autrefois, que les hommes ont commencé de philosopher. L’étonnement causé par les effets sensibles, par les changements des corps du ciel et des choses d’ici-bas, invitait l’esprit humain à s’en enquérir, car cet esprit est naturellement avide de science et de connaissance.

» C’est donc de l’apparence sensible, de la connaissance sensible des effets que toute déduction philosophique spéciale a dû ou doit être tirée, car c’est sur les choses sensibles qu’elle porte.

» Aux effets qui, dans ce monde, apparaissent communément aux hommes, correspond la connaissance philosophique commune et générale ; les conclusions qu’elle contient portent sur les causes principales et bien connues ; ces conclusions sont celles qui, du premier coup, semblent se déduire de ces effets.

» De même, donc, que, parmi les effets et les dispositions manifestes de ce monde sensible et de ses parties, ceux qui apparaissent communément ont permis de déduire une philosophie commune et générale, de même est-il une considération attentive, une science portant sur les effets rares et spéciaux, sur ceux qui ne se montrent pas communément et vulgairement, qui se sont

  1. Henrici de Hasssia Op. laud., cap. XV : De modo excitationis et reductionis talium in actualem operationem ; ms. no 2.831, fol. 109, vo ; ms. no 14.580 fol. 209, col. b.
  2. Henrici de Hasssia Op. laud., cap. I : De modo inventionis philosophie naturalis ; ms. no 2.831, fol. 103, ro ; ms. no 14.580, fol. 205, col. a.