Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/592

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
585
LA LATITUDE DES FORMES. ORESME ET SES DISCIPLES

» Par exemple, une pierre précieuse ou une plante peut posséder une certaine qualité dont l’intensité soit comparable, soit de figure semblable au visage humain, au cœur, à l’œil, à quelque autre partie du corps humain, ou bien qu’elle ait la figure de quelque membre d’un autre animal, en tant que cette ressemblance se peut constater à l’aide de la représentation précédemment définie. Dès lors, il est possible que l’application d’une telle chose entraîne la guérison d’une certaine maladie ou produise un certain effet, quel qu’il soit, d’ailleurs ; il est possible que la cause de cet effet soit la ressemblance entre la figure qui représente l’intensité d’une qualité naturelle à l’objet appliqué et la configuration, soit corporelle, soit qualitative, du patient, de l’être auquel l’application est faite…

» Bref, on peut assigner par là la cause générale de certaines vertus occultes, de certains effets merveilleux dont, autrement, les causes demeurent inconnues. Toutefois la cause spéciale et, déterminée nous reste souvent cachée, parce que cette configuration de la qualité est imperceptible et occulte. C’est parce que cette cause est cachée que certains nécromanciens idiots (nicromanci stulti) ont prétendu que ces vertus résidaient dans les pierres précieuses grâce à la présence de certains esprits incorporels qui sont tombés en elles. »

Dès le début de ses explications, Oresme a pris exemple de la doctrine des Atomistes ; en effet, la théorie qu’il nous propose est une sorte d’Atomisme qualitatif. De toutes les propriétés possédées par les choses de ce monde, les Atomistes prétendent rendre compte à l’aide de corps qui sont tous formés de la même substance, mais qui sont de diverses figures et grandeurs et qui sont diversement agencés. De ces mêmes propriétés, Oresme souhaite de même donner explications sans invoquer une multitude de qualités occultes ; aux divers corps, il n’attribue qu’un tout petit nombre de qualités propres ; mais dans chaque corps, chacune de ces qualités affecte une certaine distribution naturelle que l’emploi des coordonnées permet de représenter par une certaine figure. Les ressemblances ou les dissemblances de ces figures diverses rendent compte, sans intervention d’aucune vertu occulte, des actions et passions mutuelles des divers êtres.

La théorie qu’Oresme avait esquissée fut développée par Henri de Hesse dans son Tractatus de reductione effectuum specialium in virtites communes et causas generales dont le seul titre déclare déjà la guerre aux vertus occultes.

Henri de Hesse a lu et médité l’œuvre d’Oresme ; nous le devi-