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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

sonnable, possède-t-elle l’opération intellectuelle qui surpasse non seulement la vertu et l’action des éléments, mais encore toute vertu et toute action corporelles. »

Conséquence essentielle et, partant, irréductible de la forme spécifique du corps où elle réside, telle est, au gré de saint Thomas, toute vertu par laquelle s’exerce quelque œuvre occulte de la nature. D’une telle vertu, on peut étudier les effets ; mais on ne la saurait décomposer en qualités, en forces plus simples qui en seraient les éléments ; on ne la peut analyser ; on ne peut que la nommer.

Il était possible de concevoir une autre opinion.

Aristote, au traité De la génération et de la corruption, ne s’était-il pas efforcé de montrer[1] qu’un certain nombre de qualités, telles que la rareté ou la densité, la fluidité, la viscosité ou la solidité, résultaient de la combinaison des quatre qualités premières, le chaud et le froid, le sec et l’humide ? Des vertus occultes n’était-il pas possible de faire une analyse analogue et de les réduire à n’être que de complexes résultantes des qualités élémentaires ? Cette supposition paraît avoir séduit nombre de docteurs parisiens.

En effet, nous en relevons l’indication sous la plume d’Albert de Saxe[2].

« On dit, écrit Albert, qu’il y a deux sortes de qualités. Les unes sont sensibles par elles-mêmes, comme le chaud, le froid, l’odeur, la saveur, et autres de même genre. Les autres sont insensibles, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas sensibles par elles-mêmes, encore qu’elles le puissent être par accident ; ainsi en est-il de l’influence du Ciel ; ainsi en est-il également de certaines vertus substantielles des pierres et des herbes.

» Une seconde distinction porte sur les qualités insensibles. Parmi elles, il en est qui ne résultent pas de l’action que les qua-

  1. Aristote, De generatione et corruptione, lib. II, cap. II.
  2. Egidius cum Marsilio et Alberto de generatione. — Commentaria fidelissimi expositoris D. Egidii Romani in libros de generatione et corruptione Aristotelis cum textu intercluso singulis locis. — Questiones item subtilissime eiusdem doctoris super primo libro de generatione : nunc quidem primum in publicum prodeuntes. — Questiones quoque clarissimi doctoris Marsilii Inguem in prefatos libros de generatione. — Item questiones subtilissime magistri Alberti de Saxonia in eosdem libros de gene. nusquam alias impresse. — Omnia accuratissime revisa ; atque castigata : ac quantum ars eniti potuil Fideliter impressa. Colophon : Impressum venetijs mandato et expensis Nobilis viri Luceantonij de giunta florentini. Anno domini 1518. die 12 mensis Februarii. — Questiones de generatione et corruptione secundum Albertum de Saxonia, lib. II, quæst. I : Utrum sint quatuor qualitates primæ, nec plures, nec pauciores ; fol. 147, coll. a et b.