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LA LATITUDE DES FORMES. ORESME ET SES DISCIPLES

» De même à celui qui ne sait pas que l’aimant attire le fer, le magicien réciterait des vers, tracerait des caractères et l’aimant enchanté attirerait le fer ; il est bien certain que le poème n’y ferait rien, mais la vertu naturelle qui est dans l’aimant. Ainsi en est-il ici, car j’en ai fait l’épreuve d’une façon convaincante. »

Ces pensées esquissées dans l’Opus tertium, Bacon les développait dans son Epistola de secretis operibus artis et naturæ et de nullitate magiæ[1].

Extrêmement curieux des effets merveilleux que la nature peut produire, Bacon ne philosophait guère sur les causes qui doivent expliquer ces effets ; saint Thomas d’Aquin, au contraire, désirait savoir de quelle sorte sont ces causes.

« Il y a dans les corps, dit-il[2], des vertus qui ne peuvent pas être causées par les vertus des éléments ; ainsi en est-il lorsque l’aimant attire le fer, lorsque certaines médecines chassent certaines humeurs déterminées et de parties déterminées du corps… »

Ce ne sont point effets irréguliers ou capricieux, semblables à des miracles. « Les actions occultes dont nous parlons en ce moment se comportent toujours ou, tout au moins, la plupart du temps, de la même manière. Partant, les vertus qui sont les principes de ces actions, doivent être essentielles ; elles doivent provenir de la forme, en tant que cette forme existe dans telle matière. »

« Les vertus et les actions, poursuit le Doctor communis, doivent être proportionnées aux formes dont elles proviennent.

» Les formes des éléments, qui sont les plus matérielles de toutes, ont pour conséquences des qualités actives et passives, savoir le froid et le chaud, le sec et l’humide, et autres semblables qui concernent la disposition de la matière.

» Les formes des mixtes, au contraire, les formes des corps inanimés, tels que les pierres, les métaux, les minerais, outre les vertus et actions qu’elles tiennent des éléments dont ces mixtes sont composés, possèdent, en outre, certaines vertus et actions plus nobles ; ces vertus et actions résultent des formes spécifiques des mixtes ; ainsi l’or réjouit le cœur, le saphir arrête le sang.

» Cette ascension se poursuit ; plus nobles sont des formes spécifiques. plus grande est l’excellence des vertus et des opérations qui en procèdent. Aussi la forme la plus noble, qui est l’âme rai-

  1. Fr. Rogeri Bacon Opera quædam hactenus inedita. Vol. I (seul paru). Edited by J. S. Brewer, London, 1859, pp. 523-551.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis De occultis operibus naturæ opusculum ad quemdam militem (Sancti Thomæ Aquinatis Opuscula, Opusc. XXXIV).