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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

en plus surprenants, c’était, à son gré, l’objet de ce qu’il nommait la Science expérimentale.

« Parmi les œuvres de sagesse, écrivait-il[1], il y en a qui possèdent une immense beauté de sagesse. Si, par exemple, le monde ignorait que l’aimant tire le fer, il semblerait que c’est un grand miracle ; mais l’expérience des savants a découvert cet effet ; ils ont reconnu bien d’autres opérations en des domaines qu’ignore le vulgaire. Ils ont trouvé que le fer n’est pas seul attiré par la pierre d’aimant ; qu’il en est de même de l’or, de l’argent et de tout métal. Ils ont étudié la pierre qui court au vinaigre, les plantes et les autres choses qui courent les unes vers les autres. En effet, séparées les unes des autres, les diverses parties des corps animés courent les unes vers les autres si on les assemble suivant certaines règles et d’une manière appropriée. Après avoir vu ces effets, il n’est rien qui me puisse sembler difficile à croire, pourvu qu’une suffisante autorité me l’affirme, lors même que je n’en verrais pas la raison. — Et quando vidi hæc, nihil potest mihi esse difficile ad credendum, si debitum auctorem habeat, licet rationem non videam. »

Avec une entière simplicité, Bacon nous déclare, à la fois, sa crédule curiosité et son insouciance à l’égard de toute explication rationnelle.

Son seul souci, c’est d’affirmer nettement que tous ces effets surprenants sont œuvres de la nature ; qu’ils n’ont rien de surnaturel ni de magique, bien que le charlatanisme des magiciens s’applique à en tirer parti.

« Toutes ces choses, dit-il, sont merveilleuses ; elles nous donnent lieu de saisir sur le vif la façon de penser (consideratio) du magicien et celle du philosophe.

» À ce propos, les magiciens récitent des vers, tracent des caractères, puis, à ces vers et à ces caractères, ils attribuent ce qui est concours naturel des choses. Celui qui philosophe, au contraire, néglige vers et caractères ; il donne toute son attention à l’œuvre de la nature et de l’art.

» Ainsi les magiciens prennent une verge de saule ou de coudrier ; ils la fendent en deux dans le sens de la longueur ; ils mettent entre les deux moitiés un écart d’une palme ; ils récitent leurs vers, et les deux moitiés séparées se rejoignent ; mais ce n’est pas à cause des vers, c’est en vertu d’une propriété naturelle.

  1. Un fragment inédit de l’Opus tertium de Roger Bacon, Ad Claras Aquas (Quaracchi), 1909 ; p. 152-153.