Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

effet, qui ne sont pas de la même espèce que lui, auraient avec lui une certaine contrariété ; grâce à cette contrariété, ils seraient agents de corruption pour ce fragment, dès là que ce fragment serait de trop faible résistance ; et ce fragment pourrait être si petit qu’il eût une trop faible résistance pour résister pendant un temps notable.

» On doit accorder, toutefois, que l’on ne saurait assigner un volume si petit qu’une parcelle de chair ne puisse, sous un volume plus petit, être, par le pouvoir de Dieu, conservée à part, sans aucune tendance à la corruption, et cela pendant autant de temps qu’il plairait à la divine volonté. Mais j’ai dit que cela n’arriverait pas par voie naturelle. Et peut-être est-ce cette conclusion qu’entendait Aristote lorsqu’il disait : Le volume des êtres naturels est borné en grandeur comme en petitesse. »

Buridan accorde que l’on peut, de toute substance, prendre une quantité assez petite pour que la conservation de ce fragment pendant longtemps soit chose impossible. Peut-on, de toute substance, prendre une quantité si petite que ce fragment ne se puisse conserver pendant un temps, si court soit-il ? C’est une question nouvelle ; la réponse ne résulte pas nécessairement de ce qui vient d’être dit.

À cette dernière question, les prédécesseurs de Buridan ont répondu par l’affirmative ; cependant, c’est par la négative qu’il faut répondre si l’on admet que toute parcelle d’une substance, si petite soit-elle, requiert un certain temps pour se transformer en une autre substance.

« Voici maintenant, dit le Philosophe de Béthune, un plus fort sujet de doute : À un corps naturel existant isolément peut-on assigner un tel minimum que l’existence isolée d’un corps de cet espèce sous un volume plus petit soit une impossibilité ? Il est certain que, par la puissance divine, ce corps pourrait exister sous un volume moindre ; ce que l’on demande c’est si cela est encore possible par les puissances naturelles.

» Certaines personnes disent, d’une manière probable, que l’on ne saurait assigner un tel minimum ; ils disent par exemple qu’à la chair isolée de toute autre chair on ne saurait assigner un minimum tel qu’une chair plus petite ne puisse exister, isolée de toute autre chair.

» Cela se prouve ainsi : Cette chair [de volume minimum] est encore divisible, car elle a des parties les unes hors les autres ; si l’on sépare ces parties les unes des autres, elles ne sont pas instantanément corrompues par l’effet de la séparation ; chaque partie,