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LA LATITUDE DES FORMES. ORESME ET SES DISCIPLES

la transformer en celle-ci : L’intensité du froid n’est que l’intensité de la chaleur changée de signe, cette opinion, disons-nous, attira vivement l’attention des scolastiques de Paris.

Albert de Saxe expose[1] avec soin cette opinion et, aussitôt après, l’opinion contraire, selon laquelle, aux divers points d’un sujet inégalement chaud, existent seulement des chaleurs inégalement intenses, sans aucun mélange de froid ; puis il ajoute, en manière de conclusion : « Je crois que cette seconde opinion est plus exacte, mais la première est plus répandue, »

Entre ces deux opinions, Oresme ne veut pas discuter où se trouve la doctrine véritable[2] ; il se propose seulement de montrer comment sa méthode permet de représenter géométriquement la théorie de Buridan.

Il suppose que le sujet échauffé se réduise à une ligne droite. En chaque point de cette droite, il élève une latitude proportionnelle à l’intensité de chaleur en ce point ; il prolonge cette droite d’une longueur proportionnelle à l’intensité de froid au même point : la latitude totale ainsi obtenue a, en tout point, la même longueur. On se trouve ainsi avoir dressé, sur la longitude qui représente l’extension, une figure rectangulaire ; une ligne divise ce rectangle en deux parties qui représentent respectivement les deux qualités contraires associées l’une à l’autre au sein du sujet.

« Cette opinion », dit Marsile d’Inghen[3], « m’apparaît probable ; je ne sais si cela vient de ce que je me suis pris de passion pour l’opinion de mon Maître Jean Buridan, qui l’a proposée. » C’est au moyen de la représentation géométrique imaginée par Oresme que Marsile expose la théorie qui lui plaît si fort[4].

Marsile d’Inghen ne se contente pas de faire usage des coordonnées rectangulaires, de la longitude et de la latitude ; il connaît également et emploie la règle d’Oresme ; il la cite comme une vérité incontestée, d’usage courant, que l’on invoque à titre d’argument pour ou contre une proposition soumise à la discussion.

  1. Alberti de Saxonia Quæstiones in libros Physicorum ; lib. V, quæst. IX ; éd. cit., fol. 62, coll. a et b.
  2. Magistri Nicolai Oresme Tractatus de difformitate qualitatum ; pars. I, cap. XIX : De figuratione contrariorum ; ms. cit., fol. 225, vo et fol. 226, ro.
  3. Questiones clarissimi philosophi Marsilii Inguen super libris de generatione et corruptione. Lib. II, quœst. VI ; éd. cit., fol. 106, coll. c et d, et fol. 107, col. a.
  4. Marsile se sert encore, en un autre endroit du même traité, de la représentation par coordonnées rectangulaires (Marsilii Inguen, Op. laud., lib. I, quæst. XVIII ; éd. cit., fol. 77, col. c).