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LA LATITUDE DES FORMES. ORESME ET SES DISCIPLES

Il nous semble donc naturel qu’une étude très minutieuse et très approfondie de cet opuscule, poursuivie, sur le manuscrit de Thorn, par M. Heinrich Wieleitner[1], ait conduit cet auteur à s élever contre l’estime excessive que Maximilian Curtze et M. Moritz Cantor en avaient conçue. « Aux scolastiques du Moyen Âge, conclut avec vérité M. Wieleitner[2], on peut accorder l’idée de fonction et Oresme en cherchait une représentation graphique. On peut également dire que les fonctions discontinues ont été par lui, prises en considération, pourvu qu’on ne prenne pas cette notion d’une façon trop moderne. Mais de la dépendance numérique d’une grandeur à l’égard d’une autre, qui est clairement impliquée dans les développements de Descartes (non dans ceux de Fermat), le Moyen Âge n’avait aucun soupçon. »

Qu’Oresme en eût plus qu’un soupçon, il nous la prouvé au traité De difformitate qualitatum en établissant l’équation de la ligne droite, et en proclamant l’équivalence de relations algébriques de ce genre avec les représentations géométriques auxquelles elles correspondent. Mais de cela, le Tractatus de latitudinibus formarum ne reproduit pas un seul mot.

Si ce Tractatus a été, pour Maximilian Curtze et pour M. Cantor, l’occasion de regarder Oresme comme un précurseur de Descartes, il était, en tout cas, insuffisant pour établir la justesse de leur divination. Encore moins les eût-il pu conduire à saluer, dans le grand maître du Collège de Navarre, un précurseur de Galilée ; la proposition que nous avons convenu d’appeler règle d’Oresme est passée sous silence au traité De latitudinibus formarum ; nous n’y trouvons qu’une indication rapide sur la proportionnalité entre les quantités de deux qualités de même espèce et les aires des figures qui représentent ces qualités : « Eadem est proportio formæ ad formam quæ est figuræ ad figuram. »

Qu’un semblable manuel ait été rédigé, et cela, semble-t-il, avant la fin du xive siècle, c’est, pour nous, la preuve manifeste que les méthodes d’Oresme, que l’emploi de la latitude et de la longitude, c’est-à-dire des coordonnées rectangulaires, pour figurer les variations des diverses propriétés mesurables se sont très vite répandus dans les écoles, du moins à Paris.

De cette rapide diffusion, nous trouverons, croyons-nous, un premier témoin en la personne de Jean Buridan.

  1. Heinrich Wieleitner, Der « Tractatus de latitudinibus formarum » des Oresme (Bibliotheca Mathematica, 3te Folge, XIII, Band, p. 115 sqq. 1913).
  2. Heinrich Wieleitner, Op. laud., p. 145.