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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Guillaume d’Ockam se range pleinement à l’opinion de Richard de Middleton :

« On ne saurait, dit-il[1], assigner un minimum naturel qui ne puisse toujours être divisé en parties plus petites à l’infini tout en conservant la même forme naturelle ; il est évident, par exemple, que l’on ne saurait assigner une chair si minimale qui ne pourrait pas, même par la puissance divine, être subdivisée en parcelles de chair plus petites à l’infini.

» Au Philosophe je réponds que voici ce qu’il entend. On peut assigner un minimum naturel, un minimum de chair, par exemple, qui soit incapable de subsister par lui-même et de résister aux agents de destruction tels que le froid, le chaud, etc. ; en sorte que s’il existait une parcelle de chair plus petite que ce minimum, elle ne pourrait résister aux agents extérieurs ; tout aussitôt, par suite de son défaut de force de résistance, elle se fondrait au sein des corps qui l’entourent (cederet in continuis) ; la forme de la chair y serait détruite et la forme de quelque autre substance y serait introduite. Mais Dieu pourrait suspendre l’action des agents extrinsèques et protéger la parcelle de chair contre la destruction ; il pourrait alors la diviser en parties de plus en plus petites à l’infini en sorte que, de cette manière, la division ne s’arrêterait plus jamais à une partie minimum de chair ; chacune des parties isolées ne se fondrait plus au sein des corps contigus, car faction des agents extrinsèques serait suspendue et la chair préservée de la corruption. »

Avec Buridan, la doctrine de Richard de Middleton et d’Ockam subit une modification essentielle ; le Philosophe de Béthune admet que, de toute substance corporelle, on peut prendre une quantité si petite qu’elle ne pourrait résister longtemps aux agents extérieurs ; il introduit, en cette question, une considération de durée à laquelle ses prédécesseurs n’avaient point eu égard.

« On peut assigner, dit-il[2], un volume si petit qu’un corps, pris sous ce volume ou sous un volume plus petit, et isolé de tout corps de même espèce, ne pourrait être conservé, d’une manière naturelle, pendant un temps long ou simplement notable ; ce fragment tendrait constamment à sa corruption ; il serait rapidement corrompu par les corps qui lut sont voisins ; ces corps voisins, en

  1. Gulielmi de Ockam Annotationes super quatuor libres Sententiarum, lib. II, quæst VIII : Utrum mundus potuit fuisse ab æterno.
  2. Johannis Buridam Quæstiones super octo Physicorum libros Aristotelis, Lib. I, quæst. XIII : Utrum entia naturalia sint determinata ad minimum. Fol. XVI, col. d, et fol. XVII, coll. a et b.