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LA LATITUDE DES FORMES. ORESME ET SES DISCIPLES

Si, comme nous le pensons, la quantité ou mesure d’une vitesse s’identifie, dans l’esprit d’Oresme, avec l’espace linéaire que le point mobile parcourt, le résultat auquel notre auteur vient d’atteindre est singulièrement grave ; il peut, en effet, se formuler ainsi : Lorsqu’un mobile se meut, pendant un certain temps, d’un mouvement uniformément varié, le chemin qu’il parcourt est égal à celui qu’il parcourrait en un mouvement uniforme, de même durée, dont la vitesse serait égale à celle qui est prise en l’instant moyen du premier mouvement.

Que ce soit bien là la proposition qu’Oresme entendait, nous en aurons l’assurance par la lecture de l’un des problèmes que traite notre auteur.

Comme il l’a fait en un précédent problème, Oresrne prend[1] une certaine longitude qu’il divise en parties proportionnelles de raison mais, en chacune de ces parties proportionnelles, il ne suppose plus que la longitude soit uniforme ; il la suppose seulement uniforme dans les parties de rang impair et uniformément difforme dans les parties de rang pair. Il admet donc qu’en la première partie, la longitude garde uniformément un certain degré ; qu’en la seconde, elle croisse uniformément de ce degré au degré double ; qu’en la troisième, elle garde uniformément ce degré double ; qu’en la quatrième, elle croisse uniformément de ce degré double au degré quadruple, et ainsi de suite. Il énonce alors ce théorème : La mesure totale de la qualité est dans le rapport à la mesure de la qualité qui affecte la première partie. Pour démontrer ce théorème, il se sert, bien entendu, de la règle qu’il a posée au sujet de la mesure d’une qualité uniformément difforme.

Une fois ce théorème démontré, Oresme ajoute : « On peut prouver une proposition semblable au sujet de la vitesse, et l’appliquer à la vitesse comme on l’a fait au chapitre précédent. — Et simile potest probari de velocitate et applicari ad velocitaltem, sicut factum fuit in capitule precedenti. »

Or, au neuvième chapitre, Oresme avait appliqué à la vitesse le théorème qu’il avait démontré, et cette application supposait implicitement, mais essentiellement que la mesure de la vitesse pendant un temps donné fût l’espace qu’elle fait parcourir au mobile pendant ce temps. Ill est donc clair qu’il admet la même

  1. Oresme, Op. laud., pars III, cap. X : Quoddom aliud exemplum ; ms. no 7.371, fol. 264, ro et vo ; ms. no 14.580, fol. 60, coll. a et b.