Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/562

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
555
LA LATITUDE DES FORMES. ORESME ET SES DISCIPLES

espèce et d’intensité double ; que la troisième est affectée d’une qualité uniforme trois fois plus intense que la première, etc. Les intensités des qualités uniformes qui affectent les parties proportionnelles successives sont entre elles comme les divers nombres entiers.

La figure représentative est formée par une suite de rectangles de plus en plus étroits et de plus en plus élevés. Bien que les hauteurs de ces rectangles croissent au delà de toute limite, la somme de leurs aires demeure limitée ; elle est quadruple de l’aire du premier de ces rectangles.

Oresme applique aussitôt ce théorème au cas où la qualité est remplacée par une vitesse : « Si un certain temps avait été ainsi divisé en parties proportionnelles ; qu’en la première partie de ce temps, un certain mobile se mût avec une certaine vitesse ; qu’en la seconde, il se mût deux fois plus vite, en la troisième trois fois plus vite, et ainsi de suite, la vitesse croissant toujours de même, cette vitesse serait exactement quadruple de la hauteur de la première partie ; en sorte qu’en l’heure entière, ce mobile parcourrait un chemin quadruple exactement de celui qu’il a parcouru en la première partie proportionnelle, c’est-à-dire en la première demi-heure ; si, par exemple, en cette première partie proportionnelle, il a parcouru une longueur d’un pied, pendant, le reste du temps, il parcourra trois pieds, et pendant la durée tout entière, il parcourra quatre pieds. »

En ce cas, la définition qu’Oresme donnait de l’intensité de la vitesse suffisait à lui prouver que l’aire de la figure représentative mesurait la longueur décrite par le point mobile. Savait-il qu’il en est de même en général ? Pour qu’il le pût démontrer, il eût fallu qu’il possédât une définition précise de la vitesse instantanée, qu’il eût acquis les notions de dérivée et d’intégrale. Assurément, une telle démonstration passait de beaucoup les moyens que lui fournissait sa connaissance très rudimentaire des Mathématiques. Mais incapable de démontrer une telle proposition, en avait-il intuitivement reconnu la vérité ? Nous ne trouvons, en son traité, aucune phrase qui l’affirme explicitement. Il semble, toutefois, que ce silence résulte non pas d’un doute où l’auteur serait demeuré, mais bien d’une parfaite assurance en l’exactitude de la proposition qu’il sous-entend. Il ne dit pas que l’aire de la figure représentative mesure, en toutes circonstances, le chemin parcouru par le mobile parce qu’il pense que cela va de soi. Nous trouverons, d’ailleurs dans un instant, un passage qui suppose clairement cette interprétation. Nous verrons, aussi, que beaucoup