Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
49
L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

divisible ; si l’on pousse jusqu’à un certain degré la division de cette substance, la forme en est détruite ; le feu, par exemple, ainsi divisé, se transforme en l’élément, air ou eau, au contact duquel il se trouve.

Mais, dira-t-on, si l’on divise du feu de la sorte, au moment où la division atteindra ce minimum de grandeur au-dessous duquel le feu ne peut plus subsister, la masse entière de ce feu que l’on soumet à cette division va se changer instantanément en air ou en eau ; cela ne saurait être.

Ce n’est pas ainsi qu’il faut comprendre l’opération par laquelle le feu, lorsqu’on en pousse la division assez loin, se transforme en l’élément au sein duquel il se trouve plongé. Il ne faut pas s’imaginer que les parties produites par cette division se transforment tant qu’elles demeurent unies entre elles ; c’est seulement lorsqu’on veut, du tout, séparer chacune d’elles, que celle-ci prend la forme de l’élément qui l’enveloppe et quelle s’unit à lui : « Il n’y a pas de minimum de grandeur pour les parties d’une substance naturelle continue, tant que ces parties demeurent unies au tout ; il n’existe, pour ces parties, de minimum naturel qu’autant qu’on les sépare du tout. »

En cet enseignement de Jean de Jandun nous ne voyons rien d’autre que la doctrine de Thomas d’Aquin et de Gilles de Rome ; de cette doctrine, on a seulement pris soin d’écarter une interprétation fautive.

Burley ne paraît pas l’avoir compris ainsi ; il semble regarder comme distinctes l’opinion de Gilles de Rome et l’opinion de Jean de Jandun, opinions qu’il expose en ces termes[1] :

« On peut dire que la grandeur, en tant que réalisée dans sa matière sensible, répugne à la division à l’infini, tandis que la grandeur simplement réalisée dans la matière première, non sensible, est divisible à l’infini, On peut aussi concevoir une autre interprétation : La grandeur réalisée en la matière sensible est divisible à l’infini tant qu’il s’agit seulement de marquer [par la pensée] la distinction des diverses parties ; mais cette grandeur réalisée dans la matière sensible n’est plus divisible à l’infini lorsqu’il s’agit, par des coupures actuelles, de séparer les parties les unes des autres. » Burley néglige, d’ailleurs, de nous faire connaître sa propre opinion.

  1. Burleus Super octo libros physicorum, Lib. III, tract. II, cap IV ; éd. Venetiis, 1491, fol. 71, col. b.