Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/544

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
537
LA LATITUDE DES FORMES. ORESME ET SES DISCIPLES

mente contre les principes de l’Astrologie et de la Magie. Laissant de côté tout ce qui ne concourt pas à notre objet, nous nous attacherons seulement à ce qui regarde la latitude des formes.

Les philosophes qui, depuis Richard de Middleton, admettaient que l’accroissement d’une qualité se fait par addition de parties avaient, pour la plupart, assimilé l’accroissement d’une qualité à l’augmentation d’une grandeur continue et, en particulier, d’une longueur. Cette pensée est celle qui va guider Oresme et servir d’introduction à son système.

« À l'exception des nombres, écrit-il au début de son traité[1] toute chose mesurable doit être imaginée à la manière d'une quantité continue. Pour la mesurer, il faut imaginer des points, des surfaces, des lignes ; selon l’avis d’Aristote, en effet, ces objets sont ceux où la mesure ou la proportion se rencontrent immédiatement ; dans les autres objets, la mesure ou proportion n’est connue que par analogie, en tant que la raison compare ces objets-ci à ceux-là…

» Donc, toute intensité susceptible d’être acquise d’une manière successive doit être imaginée au moyen d'une ligne droite élevée verticalement à partir de chaque point de l'espace ou du sujet qu’affecte cette intensité… Quel que soit le rapport qui existe entre deux intensités de même espèce, un rapport semblable doit se retrouver entre les lignes correspondantes et inversement. De même qu’une ligne est commensurable avec une autre ligne et incommensurable avec une troisième ligne, ainsi en est-il des intensités ; il en est qui sont commensurables entre elles et d’autres qui sont incommensurables.

» Omnis igitur intensio successive acquisita ymaginanda est per lineam rectam perpendiculariter erectam super aliquod punctum aut aliquot puncta intensibilis spacii vel subjecti… Nam qualiscunque proportio reperitur inter intensionem et intensionem, de intensionibus que sunt ejus dem rationis, similis proportio invenitur inter linea m et lineam, et econversu ; quentadmodum una linea alteri linea est commensurabilis et alteri incommensurabilis, ita et conformiter de intensionibus, quia quedam sunt commensurabiles ad invicem et quedam incommensurabiles quomodolibet. »

« La mesure des intensités peut donc être convenablement imaginée comme la mesure des lignes.

  1. Magistri Nicholai Oresme Tractatus de figuratione potentiorum. Pars I, cap. I : De continuitate intensionis. Bibl. Nat., fonds latin, ms. no 7.371, fol. vo ; ms. no 14.580, fol. 37, coll. c et d.