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L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

et en ses Théorèmes sur le corps du Christ[1], d’affirmer les principes essentiels de la théorie des minima naturels.

Ces principes, rappelons-le, sont ceux-là même que Saint Thomas d’Aquin avait formulés.

Pour une substance donnée, le volume minimum est au nombre des accidents qui résultent nécessairement de la forme substantielle ; de même que, par sa forme substantielle, l’eau est nécessairement humide, de même un volume d’eau est nécessairement supérieur à une limite donnée ; il serait contradictoire et inconcevable que de l’eau ne fût pas humide : de même, il est contradictoire et inconcevable qu’un volume d’eau fût inférieur à son minimum naturel ; « la forme spécifique répugne à la division à l’infini. »

Partant, on en doit conclure que Dieu lui-même ne peut faire ni de l’eau qui ne soit pas humide, ni une masse d’eau plus petite que le minimum naturel ; ce qu’il ferait ne serait plus de l’eau.

Cette conclusion paraît excessive à Richard de Middleton[2].

Étant donné un volume de feu, on peut concevoir qu’il soit divisé en petites étincelles, que ces étincelles soient, à leur tour, divisées en parties plus petites, et ainsi sans fin. Chaque parcelle, si petite soit-elle, serait réellement du feu ; en elle se trouverait toujours la matière spécifique du feu, la forme spécifique du feu.

Dieu pourrait, de la sorte, diviser indéfiniment un volume de feu et maintenir l’existence des parcelles de feu ainsi obtenues, si petites fussent-elles.

Cette division, si loin qu’on la pousse, n’altère donc ni la matière spécifique ni la forme spécifique du feu ; mais elle peut être poussée assez loin pour modifier certaines propriétés ou vertus de ce feu.

« On pourrait, par exemple, parvenir à des parties si petites qu’elles ne pourraient plus être maintenues en existence par les seules forces créées, et cela parce qu’en de telles particules, toute vertu se trouverait affaiblie à un trop haut degré. Dieu cependant, pourrait conserver une telle particule ; seul, il pourrait effectuer, d’une manière réelle, une telle division ; ni l’ange ni l’âme intellectuelle ne la peuvent réaliser, mais ils la peuvent concevoir par la pensée. »

  1. Egidii Romani Theoremata de corpore Christi. Theorema X. Ed. cit., fol. 93, col, a.
  2. Quodlibeta Doctoris iximii Ricardi de Media Villa, ordinis minorum, quæstiones octuaginta continentia. Brixiæ, de consensu superiorum, MDXCI. Quodlibetum III, art. II, quæst. V : Utrum magnitudo naturalis sit divisibilis in infinitum, pp. 91-93.