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LA LATITUDE DES FORMES AVANT ORESME

l’infini ; et cependant, il ne peut jamais avoir une grâce aussi petite que AB. Si, par exemple, AB est la moitié de AC, cet adulte peut avoir une grâce dont les pertes décroissent en progression géométrique de raison sous-double (licet possit habere subduplum et subduplum) ; mais il ne peut avoir une grâce qui soit la moitié ou une partie plus petite de AC ; et cependant, selon l’infinité de parties proportionnelles de BC, il peut avoir une grâce qui décroît indéfiniment et qui, indéfiniment, devient, plus petite que AC. Ainsi, on ne saurait donner la grâce la plus petite qu’il puisse posséder ; quelle que soit la grâce qu’il possède, il peut en posséder une moindre ; toutefois, on peut assigner une grâce dont il ne saurait posséder la moitié, et une dont il ne saurait posséder le tiers, et ainsi de suite. »

Holkot saisit avec bonheur, dans une discussion purement théologique, l’occasion de nous montrer qu’il connaît les propriétés de la progression géométrique, qu’il conçoit nettement la notion d’une limite dont une grandeur s’approche indéfiniment sans l’atteindre jamais. De ce désir d’introduire les Mathématiques dans les controverses de dogme ou de morale on trouverait, dans le traité du Dominicain anglais, d’autre exemples.

Un tel désir va faire pénétrer dans l’étude des formes et des qualités les notions et les termes imaginés en vue d’analyser le mouvement local.

Déjà, en 1344, Grégoire de Rimini considère[1] des latitudes qui sont doubles l’une de l’autre ; déjà il parle de la vitesse avec laquelle se produit la tension d’une forme, distinguant le cas où ce changement est uniforme (uniformis) et se fait avec une vitesse constante du cas où cette vitesse change avec le temps ; le même langage arithmétique lui sert à traiter du mouvement d’altération et du mouvement local.

À la fin de son Tractatus proportionum, après avoir traité du mouvement local et du mouvement de dilatation, Albert de Saxe traite du mouvement d’altération. « Il faut savoir, dit-il, qu’en l’alteration, on peut considérer deux sortes de successions, la succession en extension et la succession en intensité. » Il admet, d’ailleurs, que, « dans le mouvement d’altération, la vitesse croît comme la qualité acquise en tant que temps… Si, par exemple, des sujets inégaux acquièrent en une heure des qualités égales, ils sont altérés avec une égale vitesse ; si les qualités acquises sont iné-

  1. Gregorii de Arimino Op. laud., lib. I, dist. XVII, quæst. V.